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Canton

Cremo est fragilisée par Migros

Le géant orange bouleverse un marché laitier tendu grâce à une acquisition dans le canton de Berne

Cremo souffre de la raréfaction du lait et du déclin de la production de lait d’industrie au profit des filières fromagères, plus rémunératrices.

25 janvier 2023 à 20:51

Economie » L’opération a été menée l’année dernière par Migros dans le canton de Berne, mais elle concerne directement Cremo. Sur un marché laitier tendu, elle fragilise en effet encore davantage le groupe laitier basé à Villars-sur-Glâne, qui fait face à d’importantes difficultés.

Depuis l’été dernier, Estavayer Lait SA (ELSA), filiale de Migros, a mis la main sur Aaremilch AG. Cette organisation de producteurs de lait (pool laitier dans le jargon) basée à Lyss regroupe quelque 1600 producteurs de lait. ELSA, qui détient désormais 50% du capital-actions d’Aaremilch, dispose également depuis l’été dernier d’une importante fromagerie dans l’Oberland bernois.

Fromagerie dernier cri

La filiale de Migros détient en effet 100% du capital-actions de Simmental Switzerland AG, une société qui exploite une installation dernier cri, située à Oey, dans le Diemtigtal, près de Spiez. En 2018-2019, Aaremilch avait investi 38 millions de francs dans une infrastructure capable de transformer 30 millions de kilos de lait et de produire 3500 tonnes de fromage par an, selon un communiqué diffusé à l’époque. «Si Migros investit dans une fromagerie, c’est pour la faire tourner. Cette nouvelle unité de production sur le marché enlève de la substance à d’autres», analyse André Brodard, directeur de la Fédération des sociétés fribourgeoises de laiterie (FSFL), actionnaire principal de Cremo.

«Cette nouvelle unité de production sur le marché enlève de la substance à d’autres»
André Brodard

Les effets de cette acquisition n’ont pas tardé à se faire sentir pour le groupe laitier fribourgeois. L’opération a d’abord accéléré la fermeture de l’usine que possède Cremo à Lucens. Migros, qui sous-traitait la fabrication de fromage à raclette de la marque Raccard à plusieurs transformateurs, a en effet décidé de transférer cette production vers la fromagerie bernoise. La fabrication a commencé cette année, mais en petites quantités. «Le Raccard deviendra vite un produit très important pour la fromagerie située dans le Diemigtal», indique Tristan Cerf, porte-parole de Migros, notant que les installations bernoises continuent à produire d’autres fromages à pâte mi-dure et dure, à destination du marché suisse et pour l’exportation.

La fabrication du fromage à raclette Raccard représentait une importante part de l’activité du site de Lucens, dont la fermeture, planifiée d’ici à fin 2023, a été annoncée par Cremo le 5 octobre 2022. L’entreprise justifiait cette décision également par une nécessité de renforcer sa compétitivité, qui plus est dans un contexte de hausse du prix des énergies.

Alors que le lait est recherché par les transformateurs, l’opération menée par Migros offre à ELSA une sécurité accrue dans l’approvisionnement en matières premières. Le pool Aaremilch, dont les producteurs basés dans les cantons de Berne, Fribourg, Neuchâtel et Lucerne produisent environ 180 millions de kilos de lait par année, servira donc avant tout à alimenter les installations de son actionnaire principal.

Une source se tarit

Pour Cremo, c’est une source qui risque de se tarir. En 2020, Aaremilch avait livré à Cremo 46,5 millions de kilos de lait, soit 12,81% du volume total transformé, contre 24,6 millions de kilos (7,88% de la matière première collectée) en 2021. Avant l’acquisition de la moitié de son capital-actions, ELSA était déjà l’acheteur principal d’Aaremilch. «Elle continuera à acheter la majorité de son lait», annonce Tristan Cerf, qui évoque le renforcement d’une collaboration entamée il y a plusieurs années.

Avec son opération bernoise, Migros, acteur déjà fort du marché laitier, gagne encore davantage de poids. «Le lait est une denrée rare sur le marché. Avec des capacités de transformation accrues, ELSA aura besoin de plus de lait. Cela entraînera de toute évidence de nouveaux mouvements sur l’ensemble du marché laitier», analyse Reto Burkhardt, porte-parole de la fédération des Producteurs suisses de lait.

«Avec des capacités de transformation accrues, ELSA aura besoin de plus de lait»
Reto Burkhardt

Grâce à l’arrivée d’ELSA, les producteurs d’Aaremilch pourront obtenir de meilleurs prix du lait et une plus grande sécurité de planification. Le pool laitier a ainsi des arguments pour conserver ses membres, voire attirer de nouveaux producteurs. En 2022, Cremo avait gagné 120 producteurs bernois, provenant d’Aaremilch.

Cela n’empêche pas le groupe fribourgeois de souffrir de la raréfaction du lait et du déclin de la production de lait d’industrie au profit des filières fromagères, plus rémunératrices. En 2021, l’entreprise a transformé 312 millions de kilos de lait, soit une diminution de 14% par rapport à l’exercice précédent. En comparaison, les volumes s’élevaient à 480 millions de kilos en 2015 et à 390 en 2019.

L’enjeu du beurre

Migros est un client majeur de Cremo, notamment pour son beurre. Des discussions ont lieu à ce sujet entre les deux partenaires. «Migros est en position de force pour faire pression sur les prix ou imposer ses conditions», note un observateur, qui se demande, comme d’autres, si le géant orange, qui ne fabrique pas de beurre, ne serait pas tenté d’investir dans sa propre installation de production. Migros s’en défend et assure vouloir continuer à collaborer avec les acteurs du marché.

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