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Forum/Courrier des lecteurs

Quand générosité rime avec hypocrisie


4 octobre 2023 à 17:40

Temps de lecture : 1 min

L’invasion de l’Ukraine s’est immédiatement traduite par de nouveaux besoins en matière d’aide et de coopération internationale qui sont venus s’ajouter à ceux dont souffrent de manière endémique les pays dits «en développement», encore exacerbés par la volatilité accrue du fait de la guerre des prix des denrées alimentaire. Il s’ensuit une pression accrue sur les donateurs publics comme privés. Les flux financiers vers les pays en développement se déclinent en trois types, abstraction faite des flux de crédits et du service de la dette. Il y a les transferts des migrants vers leur pays d’origine (environ 600 mia de USD), ensuite les investissements directs des acteurs privés qui frôlent aussi 600 milliards brut, mais ils doivent être diminués des profits rapatriés. Il s’ensuit que l’apport net du secteur privé est de l’ordre de 300 mia. Le troisième flux est celui de l’aide publique au développement de l’ordre de 200 mia en 2022. La somme de ces flux dépasse de peu 1000 mia par an, alors que le quintuple serait nécessaire pour pouvoir espérer atteindre les Objectifs de développement durable 2030.

Si l’aide au développement des pays de l’OCDE a bondi en 2022 de plus de 10%, c’est avant tout à cause de l’élan de solidarité avec l’Ukraine qui a reçu 13% du total, soit 27 mia. Cela étant, une partie des montants mobilisés pour l’Ukraine ont été versés en diminution des sommes destinées aux pays en développement à proprement parler. Ainsi, en termes nets, ces montants-là ont diminué de 2%. Cette situation lève le voile sur le dilemme auquel sont confrontés les pays donateurs: augmenter l’enveloppe totale ou modifier la répartition.

Ajoutons toutefois que l’effort consenti par les pays de l’OCDE au titre d’aide se situe bien en deçà de l’objectif accepté il y a 30 ans au niveau international de 0,7% du revenu national. Seuls les pays scandinaves et les Pays-Bas s’en approchent. La proportion pour l’ensemble de l’OCDE est de 0,36%, avec un ratio pour la Suisse en 2022 de 0,56%. Ainsi, techniquement, la marge pour augmenter les enveloppes existe, mais la volonté politique n’est pas au rendez-vous. C’est aussi le cas en Suisse où le Conseil fédéral vient de mettre en consultation son projet de stratégie de coopération au développement pour 2025-2028.

Ce projet repose sur l’option d’intégrer au budget normal de coopération – qui devrait peu varier en rapport du revenu national – les sommes qui seront affectées à l’aide à l’Ukraine, soit un ordre de grandeur de 400 mio par an – environ 10% du budget total. La Suisse semble donc préférer réallouer les ressources plutôt qu’augmenter significativement l’enveloppe pour couvrir les besoins de l’Ukraine sans réduire les autres postes de dépenses. L’option choisie est donc celle de dévêtir (un peu) Pierre pour mieux habiller Jacques. En d’autres termes, nous imposerions aux bénéficiaires traditionnels de l’aide suisse au développement un geste de solidarité avec l’Ukraine dont nous ne sommes pas capables nous-mêmes. Avec un tel simulacre de générosité, ne sommes-nous pas en pleine hypocrisie? Question rhétorique.

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