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Forum/Courrier des lecteurs

Pourvu que les idéologies reviennent


6 octobre 2023 à 15:50

Temps de lecture : 1 min

En pleine torpeur estivale, les journaux du groupe Tamedia ont publié un article qui n’a suscité aucune polémique. Rédigé dans un esprit de concordance tout helvétique, il fut signé par la rédactrice en chef du Tages-Anzeiger Raphaela Birrer. Plaidoyer consensuel pour une politique apaisée, il s’en prend à la haine subie par les élus et déplore une agressivité accrue des méthodes et attaques partisanes. En réponse à ces dérives, la journaliste préconise une mobilisation contre la culture de l’intolérance. Ne pouvant qu’acquiescer la sagesse de ces belles paroles, le lecteur se sent immédiatement rassuré et, plus que jamais, est convaincu par l’excellence du modèle suisse.

C’est ici que pourrait s’arrêter cette Opinion, pour une fois beaucoup plus brève que toutes les autres. Comme il n’y a rien à ajouter, pourquoi poursuivre cet exercice littéraire? Mais voilà que, même dans le meilleur des mondes, se niche au détour d’une phrase une pensée qui n’a rien d’anodin. Ressassant le vieil et faux adage, selon lequel «les idéologies prennent le pas sur la politique au quotidien et empêchent ainsi les compromis», l’autrice tombe dans le piège d’un discours beaucoup plus pervers qu’il n’en a l’air.

Contrairement à ce qu’elle écrit, pourquoi ne pas avoir le droit de défendre la position inverse? Ce ne sont pas les idéologies qui créent la violence verbale ou physique, mais leur fin et leur disparition. Naguère, elles s’affrontaient. Désormais, elles ont été remplacées par une sorte de n’importe quoi pseudo-culturel, terrain de jeu privilégié d’aboyeurs d’idées nauséabondes, d’influenceurs informatiques très peu informés ou, pire encore, de charlatans aux connaissances scientifiques tout aussi dangereuses que restreintes.

Aujourd’hui reclus dans le cercle des intellectuels disparus, quelques auteurs, penseurs ou universitaires avaient dénoncé, en leur temps, la loi du tout est permis. Expression d’un relativisme, né aux Etats-Unis, elle est l’antithèse moderne de la raison et de l’universalisme européens. L’étendue de ses ravages est beaucoup plus dévastatrice que ses opposants n’auraient pu le présumer. La philosophie politique cherche en vain les successeurs d’Aron et de Sartre, la science politique se noie dans un flot de statistiques sans autre forme d’explication et l’histoire oublie même ce qui fait la richesse de son enseignement.

Que le lecteur de La Liberté soit quelque peu désarçonné par ces quelques lignes plus théoriques que pratiques n’a rien de condamnable ni de surprenant en soi. Elles lui paraîtront bien éloignées de ses préoccupations quotidiennes. Pourtant, elles n’ont d’autre but que de lui rappeler qu’il n’existe rien de plus démocratique que le débat d’idées. A condition de ne pas renouer avec la pensée totalitaire d’antan et de redonner ses lettres de noblesse à l’esprit critique auquel les tenants d’un langage faussement anti-idéologique n’accordent pas la moindre importance.

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