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Forum/Courrier des lecteurs

Opinion. Les invisibles, terreau de l’extrémisme


13 février 2024 à 17:20

Temps de lecture : 1 min

Dans une étude publiée fin 2018, le géographe Hervé Le Bras a dressé une carte politique qui avait fait couler beaucoup d’encre. Consacrée à l’implantation des «gilets jaunes» sur le territoire français, elle se résumait à «une diagonale du vide» qui s’étendait grosso modo des Ardennes aux Hautes-Pyrénées. Bien que contestée depuis lors par certains de ses confrères, elle avait le mérite de dévoiler au grand jour un facteur sociologique dont la droite, souvent la plus extrême, n’a cessé de s’emparer. Du Brexit aux succès des partis nationalistes, de la victoire de Donald Trump à celle de Giorgia Meloni, voire à celle plausible de Marine Le Pen en 2027, une réalité s’est imposée au cours de ces dernières années: tous ces leaders ou autres dirigeants sont allés à la pêche aux voix auprès de ceux qu’ils qualifient bien volontiers «d’invisibles».

Donnant la parole au «peuple», terme tout aussi flou que controversé, ils se font l’avocat des «petites gens», opposées par définition aux élites. Réfutant volontairement toute référence à «la lutte de classes», terme qu’ils exècrent car d’origine marxiste, ils se placent dans une perspective du repli sur soi et dans celle d’un localisme aux accents apparemment sympathiques, mais aux débouchés économiques et commerciaux limités. Leurs adversaires sont connus. Ce sont les diplômés, les scientifiques, les urbains, les mondialistes, les décideurs et les gagnants d’une globalisation qui n’aurait eu d’autre dessein que de punir les laissés-pour-compte d’une société profondément inégalitaire.

La raison d’être de l’extrême droite: le nationalisme

Le pire, c’est que ça marche. D’autant que ce n’est pas complètement faux. A l’exception d’ignorer que ces mêmes inégalités ne concernent pas seulement les gens de la campagne, mais aussi ceux de la ville, exposés aux contrecoups de la précarité. Mais de ces personnes-là, l’extrême droite ne veut pas en entendre parler. A ses yeux, ce ne sont que des assistés, des profiteurs du système, voire en premier lieu des immigrés qui feraient bien mieux de rentrer chez eux. Défenseuse autodéclarée d’une classe moyenne aux contours sociologiques indéfinis et aux enjeux politiques dangereux, elle ne s’est jamais sentie proche des syndicats ouvriers et de leur combat pour une meilleure répartition des richesses.

Sa raison d’être est celle du nationalisme. Et son terreau de prédilection, celui d’une petite bourgeoisie, souvent provinciale ou périurbaine, satisfaite de ne pas côtoyer des étrangers, mais se plaignant à tout bout de champ de ne pas assez bénéficier de la manne de l’Etat. Par ailleurs, celui-ci est sans cesse critiqué pour percevoir des impôts aux montants trop exorbitants. Reclus dans leur chez-eux, éloignés de tout, voisins de pas grand-chose ou retranchés dans leur îlot culturel sans saveur, les invisibles ont trouvé leur porte-parole. Sans toutefois se rendre compte que cette parole n’est que celle de l’exclusion, de la division, du racisme et plus encore d’une démocratie en péril.

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