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Forum/Courrier des lecteurs

Opinion. «Je ne sais pas…»


19 février 2024 à 15:35

Temps de lecture : 1 min

Qu’est-ce qu’un bon professeur? «Il avait réponse à tout, sa culture était sans limites», a été la réponse de mon interlocuteur, admiratif devant son enseignant de philosophie de l’époque. Je dois avouer qu’une telle réponse m’a plutôt inquiété. Comment peut-on avoir réponse à tout? J’y vois deux hypothèses: la première, c’est que les élèves n’ont appris qu’à poser des questions de complaisance qui flattent l’ego du professeur, des questions auquel il connaît la réponse. Celui-ci n’a donc pas réussi à faire émerger l’art du questionnement chez eux. La seconde hypothèse penche vers un manque de modestie, c’est-à-dire la non-reconnaissance de ses propres limites.

Un bon professeur ne devrait-il pas avoir réponse, si ce n’est à tout, du moins à la majorité des questions des élèves? Je me souviens du témoignage de mon mentor, Hubert Schneuwly, professeur à l’Université de Fribourg. Il m’avait alors relaté qu’étant gymnasien, il avait eu un jeune enseignant de physique, lui-même encore étudiant. Ce dernier n’avait pas le temps de bien préparer ses cours, et laissait de ce fait nombre d’erreurs dans ses explications et exercices en classe. Les élèves réagissaient, lui signalaient les problèmes rencontrés et pouvaient proposer des solutions correctes. Cela a été le déclic pour le jeune Hubert: enfin un cours où chacun pouvait énoncer ses arguments, peu importe qu’il ne fût qu’élève! Le professeur acceptait de corriger ses erreurs, en bon scientifique qu’il était. Cela changeait des autres cours où, apparemment, les enseignants avaient toujours raison et imposaient leur savoir sans discussion possible.

Une marque de respect et non un aveu de faiblesse

Un professeur qui non seulement ne savait pas tout, mais commettait aussi des erreurs; un professeur à l’origine de la vocation de certains de ses élèves, qui choisirent d’étudier les sciences plus tard justement pour cette raison. Loin des dogmes figés, un domaine où le savoir évolue au fil des découvertes et de nouvelles manières de considérer les choses. Il me semble que la connaissance de nos propres limites s’apparente déjà à une forme de sagesse. Savoir que l’on sait ce que l’on sait, et que l’on ne sait pas ce que l’on ne sait pas… Pour ma part, lorsque j’ai eu la chance de fréquenter l’université à mon tour, je me suis fait un point d’honneur de soumettre mes professeurs à la question. Tant que je n’entendais pas de leur bouche la phrase attendue, «Je ne sais pas», je me refusais à leur accorder ma confiance (et j’en ai malheureusement vu tenter de se dépêtrer dans des explications bancales plutôt que d’avouer leurs limites).

Devenu enseignant à mon tour, je m’entends régulièrement dire à mes élèves: «Je ne sais pas.» Loin d’un aveu de faiblesse, j’y vois plutôt une marque de respect non seulement envers les étudiants, mais aussi pour la matière que j’enseigne, elle aussi en constante évolution. Un bon professeur, à mes yeux, ne saurait surtout pas avoir réponse à tout… In memoriam Hubert Schneuwly, qui m’a appris, entre autres, à accepter de ne pas savoir.

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