Israël perd ses fondamentaux

Le 7 octobre, Israël a subi une attaque ignoble du Hamas rappelant l’horreur nazie. Cette agression oblige les Israéliens à réagir. Mais pas n’importe comment! Le président Herzog proclame que «c’est toute une nation qui est responsable. Les Palestiniens auraient pu se soulever et lutter contre ce régime maléfique». Méritent-ils donc une punition collective? Les nombreux morts civils à Gaza deviennent alors de simples «dégâts collatéraux». Si l’on «raisonne» ainsi, il faudrait de même s’en prendre au peuple russe, coupable de laisser Poutine au pouvoir et à toute population dominée par un tyran.

Dans ma jeunesse, je vivais sur les hauteurs de Beyrouth en face des camps palestiniens de Sabra et Chatila. Chassés de leur terre en 1948 à la création d’Israël, les Palestiniens vivaient parqués là, dans une misère terrible. Je revois les enfants jouer au foot avec des boîtes de conserve. Israël empêchait leur retour et les pays arabes refusaient de les intégrer en les confinant dans des taudis pour qu’ils gardent leur haine intacte. En 1982, ils furent massacrés par les milices chrétiennes sous le regard complice des forces israéliennes occupant Beyrouth.

Aujourd’hui, le peuple palestinien est à la fois la cible de la vengeance israélienne et l’otage du Hamas, qui le prend comme bouclier. La vengeance est mauvaise conseillère, mais surtout, comme le dit la Torah (loi juive) dans le Deutéronome (32; 35), elle n’appartient qu’à Dieu: Israël ne doit pas s’en prévaloir, sous peine de perdre tout crédit. Or n’est-ce pas ce qu’il se passe actuellement? Combien de temps les dirigeants occidentaux se réclamant des valeurs humanistes pourront-ils encore s’aligner sans discrimination sur l’Etat hébreu aveuglé par un «œil pour œil» empêchant toute vision paisible du futur?

Les Juifs ont le droit d’habiter le pays de leurs ancêtres, la fameuse «Terre promise». Toutefois ce droit ne saurait justifier la colonisation forcée de contrées palestiniennes ni le nettoyage ethnique d’une partie de Gaza. Emmanuel Levinas, si respecté en Israël, s’inspire du Talmud en écrivant «qu’aucun droit ne peut découler du besoin d’espace vital». Et la Terre promise par Dieu? «Posséder, c’est toujours recevoir», poursuit Levinas. La Terre appartient au Très-Haut qui la confie à des humains, en l’occurrence Israël dans la Bible.

Cependant, souligne Levinas, «l’idée d’un peuple élu n’est pas conscience de droits exceptionnels mais d’exceptionnels devoirs. L’élection n’est pas faite de privilèges mais de responsabilités», notamment envers les plus démunis, comme l’indiquent plusieurs passages bibliques (par exemple Lévitique 23; 22). De nos jours, ces déshérités ont les visages des Palestiniens. Par sa réaction disproportionnée à Gaza, l’Etat hébreu oublie ses fondamentaux. Israéliens et Palestiniens sont appelés à vivre ensemble au Proche-Orient, dans deux Etats séparés ou confédérés. Quand s’assoiront-ils à la même table?