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Forum/Courrier des lecteurs

Opinion. Depardieu


30 janvier 2024 à 16:50

Temps de lecture : 1 min

Au sommet de sa vision du réel, Platon place la triade du Bien, du Beau et du Vrai. Ces trois valeurs se correspondent tout en étant distinctes. On ne saurait les confondre. Ce qui est beau n’est pas forcément bon. Céline écrivit un beau roman, Voyage au bout de la nuit, tout en affichant ses sympathies nazies. Faut-il pour autant interdire cet ouvrage sous prétexte que son auteur n’était pas un modèle de bonté ni de vérité? Ou alors doit-on absoudre Céline pour ses prises de position antisémites du simple fait qu’il fut un génial créateur? Ni l’un, ni l’autre. Le Beau n’absorbera pas le Bien en justifiant toutes les dérives d’un créateur. D’autre part, on ne censurera pas au nom du Bien un ouvrage qui ne coïnciderait pas avec les canons actuels du vertueusement correct. A ce taux-là, on devrait retoquer tous les chefs-d’œuvre de notre littérature. Cette confusion du Bien et du Beau s’étale pourtant aujourd’hui sous nos yeux dans l’affaire de Depardieu, accusé de harcèlement sexuel et dont les propos sexistes viennent de faire la une des médias.

Cinquante artistes ont signé à Noël une tribune de soutien en dénonçant le lynchage dont Depardieu est l’objet. «Lorsqu’on s’en prend à Depardieu, c’est l’art que l’on attaque», affirment-ils. Bref, Gérard doit être sacralisé puisqu’il est un archétype du cinéma français. Un monstre, peut-être, mais un monstre sacré, donc inviolable et intouchable.

Ce «nettoyage éthique» porterait un coup fatal

Le président de la République lui-même est tombé dans le travers de la confusion du Beau et du Bien. Emmanuel Macron déclare être «un grand admirateur de Gérard Depardieu», qui est «un immense acteur», avant d’ajouter: «Il rend fier la France.» Quant à la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, elle a dû quitter le gouvernement pour avoir mis en cause la Légion d’honneur du grand Gérard.

Nous observons l’effacement du Beau par le Bien à la RTS, qui «a suspendu la diffusion des films dans lesquels l’acteur français tient l’un des rôles principaux». Une «décision pragmatique», selon le porte-parole. Pragmatique? Non, imbécile. Cette réaction prétérite à la fois le téléspectateur qui a payé sa redevance en le privant d’excellents films, mais aussi les autres comédiens, qui sont eux aussi jetés aux oubliettes! Si l’on raisonne ainsi, il faudrait interdire de nombreuses œuvres contraires au politiquement correct d’aujourd’hui. Ce «nettoyage éthique» porterait un coup fatal à notre culture.

Depardieu n’est ni tout blanc comme le pensent ses amis, ni tout noir comme le suggèrent les censeurs imbibés de moraline. Nous avons tendance à oublier la pensée complexe pour nous contenter d’une approche simpliste: la réalité est soit blanche, soit noire. Cette «pensée» binaire est-elle une contamination du monde numérique composé de 0 et de 1? Toujours est-il que, comme beaucoup, Depardieu porte aussi en lui sa part du diable, la fameuse «ombre» si bien décrite par Jung. Sans elle, notre monde serait lisse et insipide.

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