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Loi COVID-19

Ils ont changé de Combats

Une partie des opposants aux mesures sanitaires ont trouvé de nouvelles cibles, comme l’Otan ou l’OMS. Après la pandémie, «ils sont passés à autre chose», estime l’universitaire Pascal Wagner-Egger.

Demonstration der Corona Massnahmengegner in Winterthur am Samstag, 26. Februar 2022. (KEYSTONE/Walter Bieri)WALTER BIERI/© KEYSTONE / WALTER BIERI

Elsa Rohrbasser

Elsa Rohrbasser

12 juin 2023 à 00:03

Militantisme » «Nous devrions être un million!» A la tribune, Jean-Dominique Michel, anthropologue de la santé autoproclamé, tempête devant quelque 500 manifestants réunis sur la place des Nations, à Genève, ce samedi ensoleillé de fin mai. Dans la foule, on retrouve des sympathisants et des membres de groupes disparates qui se sont illustrés durant la pandémie de Covid-19 pour leur lutte parfois acharnée contre les mesures sanitaires et le vaccin.

Les banderoles dénoncent la nouvelle cible à abattre: l’Organisation mondiale de la santé (OMS). La fronde se focalise plus précisément sur le traité international sur les pandémies, en cours d’élaboration entre les 194 Etats membres et censé suppléer aux manquements observés pendant la pandémie. «Un pacte tyrannique et dangereux», selon le Mouvement fédératif romand, organisateur de l’événement. La réforme du Règlement sanitaire international (RSI) est également dans son viseur.

«Nous devrions être un million!»
Jean-Dominique Michel

Pour la Valaisanne Michelle Cailler, sa présidente, le résultat du troisième référendum sur la loi Covid, soumis au peuple ce dimanche 18 juin, est bien moins important que la mise en œuvre de ces réglementations. L’ancienne porte-parole de l’association des Amis de la Constitution affirme que celles-ci permettraient à l’OMS de devenir toute-puissante. Son organisation appelle à alerter l’opinion et les élus.

Ce «traître à la patrie»

Devant la foule, Jean-Dominique Michel fulmine: «L’OMS n’est plus qu’une maison de passe, où des apparatchiks véreux se sont vendus à des intérêts crapuleux». Son patron, Tedros Adhanom Ghebreyesus, est qualifié avec des termes d’une grande vulgarité. Et Alain Berset, président de la Confédération et ministre de la Santé, un «traître à la patrie».

Le Genevois appelle à les «harceler sans relâche», tout comme les «ministères» et «organisations de santé». «Si nous échouons (…), nous sommes partis pour des décennies de dictature et de dystopie», augure-t-il. Et d’évoquer la «diffusion d’un agenda pédocriminel au sein des organisations internationales, en particulier de l’OMS».

Des accusations qui ne s’appuient sur aucune preuve tangible, mais qui reprennent un mantra rodé, ressurgi pendant la présidence de Donald Trump aux Etats-Unis et qui s’est diffusé ensuite, en souterrain, chez une partie des antisystèmes de ce côté de l’Atlantique. Une participante lâche, abasourdie: «Waouh, il s’est radicalisé!» Armés de la même rhétorique, mais d’un vocabulaire souvent moins abrasif, les orateurs s’enchaînent sous le soleil cuisant. La foule, conquise, acclame et scande des «Ja voll!»

«L’OMS, l’ONU, Gavi (Alliance pour les vaccins), le WEF (World Economic Forum) nous ont déclaré la guerre et veulent instaurer une dictature afin d’asservir et d’assujettir l’humanité»
Fil Telegram des sonneurs de cloche

Alors qu’on imaginait les mouvements anti-Covid tombés dans l’oubli en même temps que les mesures, cette nouvelle manifestation montre qu’ils parviennent toujours à mobiliser. On reste toutefois loin des plusieurs milliers, voire dizaines de milliers de personnes que l’on retrouvait régulièrement lors des manifestations organisées dans tout le pays il y a encore deux ans. Un chiffre en dit beaucoup: les Amis de la Constitution, mouvement contestataire phare, sont passés de 26 000 membres en décembre 2021 à 10 000 aujourd’hui.

Pour tenter de se maintenir, certains groupes s’agrippent à de nouveaux combats, qui n’ont parfois plus rien à voir avec la santé. C’est le cas des opposants aux mesures sanitaires rassemblés sous la bannière Mass-Voll! et des Freiheistrychler («sonneurs de cloches»), eux aussi présents à Genève. Ces derniers se sont ainsi saisis de la guerre en Ukraine, faisant la part belle à une rhétorique antisystème et prorusse lors d’une manifestation «pour la paix» en mars, à Berne, qui a réuni environ 2000 personnes. Officiellement, le rassemblement devait appeler à la levée des sanctions de la Confédération contre la Russie et à un cessez-le-feu. Les Freiheitstrychler, qui avaient aussi participé à une mobilisation anti-Otan à Munich en février, se sont fait épingler à Berne pour avoir entonné un cri de guerre fasciste.

Asservir et assujettir

Ces deux mêmes organisations ont aussi manifesté – ils étaient quelques dizaines – lors de la venue de l’ancien président américain Barack Obama, en avril dernier à Zurich, pour appeler à ce que la Suisse reste neutre et dénoncer la mainmise de l’Otan.
Sur leur fil Telegram, les sonneurs de cloche s’énervent de la démobilisation de leurs troupes. «L’OMS, l’ONU, Gavi (Alliance pour les vaccins), le WEF (World Economic Forum) nous ont déclaré la guerre et veulent instaurer une dictature afin d’asservir et d’assujettir l’humanité», peut-on y lire.

Le climatoscepticisme fait aussi recette chez certains ex-leaders. Dans plusieurs vidéos et conférences, Chloé Frammery, qui fut une égérie romande des «anti», remet en doute le travail des experts du Giec et l’existence même du changement climatique, en parlant notamment de «fausse transition verte». Avec d’autres tribuns, comme le Vaudois François de Siebenthal, elle dénonce, sans toujours le nommer, un complot mondial.

Nouveau souffle?

Ces combats et profils disparates se retrouvent aussi dans la foule ce jour-là, qui mêle des habitants de tout le pays mais aussi des Français ayant fait le déplacement. En plus de tracter pour le «non» à la loi Covid, des livres religieux sont offerts et des paraphes réclamés pour des initiatives, dont une pour que les lois urgentes soient soumises au peuple et aux cantons dans les cent jours après leur adoption par le parlement. Le rachat de Credit Suisse par UBS, avec la bénédiction du Conseil fédéral, est ici clairement visé.
Michelle Cailler, elle, espère qu’un «non» le 18 juin aura force de signal, et permettra de remobiliser des mouvements qui tirent la langue depuis la fin des mesures sanitaires. Verdict dans quelques jours. 

Werner Boxler est retourné dans l’ombre

Il était le visage romand des Amis de la constitution, l’un des mouvements phares de la lutte contre les mesures sanitaires en Suisse: Werner Boxler, Saint-Gallois établi à Lausanne depuis de longues années. Le cofondateur et coprésident de l’organisation démissionnait de son poste le 31 décembre 2021. Jusqu’alors très médiatisé, il n’a presque plus été aperçu depuis. Au téléphone, le sexagénaire raconte que son départ a été «mûrement réfléchi». Quelques bisbilles internes, un mouvement qui a grandi de manière presque incontrôlée – de 20 membres en juillet 2020 à 26 000 à décembre 2021 –, l’envie de «se reposer et de se refaire une santé» ont pesé dans son choix.

«J’ai senti à ce moment-là que ma mission de rassembleur de tous ceux qui souhaitaient démocratiquement donner de leur voix a été accomplie. Je voulais alors me recentrer sur mes propres aspirations et valeurs.» Depuis, Werner Boxler dit ne plus s’être engagé publiquement. Il a gardé des contacts avec d’anciens membres actifs en Suisse romande, mais n’en a plus avec le comité actuel des Amis de la Constitution. Pourquoi pas un nouvel engagement en politique? «Non, j’évolue aujourd’hui dans la direction du guérisseur, du sage. Je ne vois pas la pertinence d’entrer dans un système qui donne des signaux de fin de cycle.» Il reprend: «Il y a des moments où on lève simplement la voix et on peut être écouté par des centaines de milliers de personnes. Ce n’est cependant pas l’instant propice aujourd’hui.» Werner Boxler se réjouit que les différents mouvements nés durant la pandémie soient toujours présents sur différents fronts, même s’il est conscient que l’engouement n’est plus vraiment au rendez-vous aujourd’hui. Il l’assure toutefois: «Il n’en faudra pas beaucoup pour que toutes les personnes qui nous ont soutenus redescendent dans la rue.» BSC


«Complotisme 
«à bas bruit»

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