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Culture

Au Musée Jenisch, le dessin italien joue les stars

A Vevey, le Musée Jenisch met le dessin italien à l’honneur et présente 140 œuvres réalisées entre 1480 et la première moitié du XIXe siècle

Pour cet Ange tracé vers 1567, Federico Zuccari a utilisé de l’encre brune, du lavis brun, des rehauts blancs et de la pierre noire. © Musée Jenisch/Claude Bornand

8 décembre 2023 à 10:50

Exposition » Vous pénétrerez dans le vaste hall du Musée Jenisch de Vevey au mieux fatigué, au pire stressé par l’avalanche des obligations de décembre. Vous en ressortirez, idéalement deux bonnes heures plus tard, assurément plus calme, apaisé par la délicatesse des traits que vous aurez observés et le pouvoir de suggestion si puissant des 140 feuilles présentées sous le titre Disegno disegni, à voir jusqu’en avril au Musée Jenisch de Vevey.

Ce très bel hommage au dessin italien couvre quatre siècles de création, de la Renaissance à la première moitié du XIXe siècle. Imaginé par les commissaires Pamella Guerdat et Emmanuelle Neukomm, assistées de Leïla Thomas, ce patient accrochage – il aura nécessité deux ans de labeur, notamment pour boucler l’important catalogue scientifique qui l’accompagne – s’ancre dans les fonds de l’institution veveysanne ainsi que dans une collection privée déposée au musée depuis 2003.

Ainsi Tiepolo a-t-il tracé un magnifique visage à partir de la Vénus Médicis, une sculpture conservée aux Offices de Florence

Les grands noms, Giambattista Tiepolo (1696-1770) ou Federico Zuccari (vers 1540-1609) y côtoient de nombreux illustres anonymes, sans surprise: les dessins, au contraire des peintures, étaient rarement signés et demeurent aujourd’hui encore souvent difficiles à attribuer, comme le montrent les commissaires au cours de l’exposition. Au final, les patronymes ont bien peu d’importance. Les traits parviennent à émouvoir pour ce qu’ils dégagent de finesse, de rigueur, d’évocation et de maîtrise. Car le dessin, au contraire de la peinture, ne pardonne rien. Une fois tracé, il ne peut être effacé, camouflé, ou noyé. Dès qu’il est lancé sur le papier, il dévoile avec une franchise totale les aptitudes de son auteur – et c’est pour cela qu’il est si passionnant.

Double signification

Le parcours, organisé de façon chronologique, thématique, mais aussi géographique – les grands centres de création italiens que sont Venise, Florence, Rome, Bologne et Gênes s’y affrontent et se complètent –, offre plusieurs niveaux de lecture. Le premier permet d’embrasser l’évidente beauté des œuvres de papier, de papillonner d’un coup de cœur au suivant, d’une thématique à l’autre – mythologie, religion, scènes de genre, portraits, animaux, détails de toutes sortes. Le second se loge dans le titre même de l’exposition. A la Renaissance, expliquent les commissaires, le terme disegno est double. Il signifie bien sûr le dessin, mais aussi le dessein. Soit le fait d’ébaucher sur le papier un projet, un but final, pour l’artiste, à atteindre. L’on peut donc entendre l’intitulé Disegno disegni comme «Un dessin, des dessins», mais aussi comme «Je dessine des dessins» et même «Je dessine des desseins».

De là, les commissaires égrainent, et illustrent, les différentes fonctions du dessin. Il sert bien évidemment d’études préparatoires – pour maîtriser un motif ou élaborer une composition – pour un projet plus vaste, généralement peint ou même architectural. On trouve aussi des esquisses saisissant le mouvement et l’instant présent. Et même des répertoires de formes, des catalogues de standards, utiles à tous les artistes d’un même atelier.

Calme et lumière

Le dessin est encore le moyen de reproduire un tableau dont on a apprécié la composition ou le sujet – pas de téléphone, en pleine période baroque, à dégainer pour immortaliser une toile qui nous a plu. Et un moyen d’étudier les classiques, en recopiant par exemple des statues antiques, souvent par bribes, une tête, un buste, une main ou un pied. Ainsi Tiepolo a-t-il tracé, vers 1745, un magnifique visage à partir de la Vénus Médicis, une sculpture grecque conservée à la Galerie des Offices de Florence. Enfin, cerise sur le gâteau, le dessin est parfois, mais c’est plus rare, le but ultime de l’artiste qui le considère alors comme une œuvre aboutie, digne d’être offerte ou vendue.

Si le visiteur est sensible à toutes ces nuances, s’il aime l’encre et le lavis, la sanguine, le crayon et la pierre noire, l’aquarelle et l’estompe, s’il ne craint pas de plonger son regard sur ces feuilles blanches, souvent jaunies il est vrai, et de se perdre dans des méandres de traits, il aura le privilège d’effectuer un voyage empli de calme et de lumière. Un luxe en plein mois de décembre.

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