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Culture

Arts plastiques. Au Kunstmuseum Bern, l’artiste sud-africaine Tracey Rose est à l’honneur

Le Kunstmuseum Bern présente Shooting down Babylon, une importante rétrospective consacrée à l’artiste née en 1974 à Durban.

Tracey Rose, le corps enduit de peinture rose et ne portant qu’une culotte, une perruque et des bottes, interprète dans San Pedro V: «The Hope I Hope, The Wall» (2005), l’hymne national israélien à la guitare électrique au pied du mur séparant Israël de la Cisjordanie. © Courtesy of Tracey Rose

2 mars 2024 à 02:10

Elle sait bousculer son corps et nos méninges, Tracey Rose. Très vite dans Shooting down Babylon – soit la plus grande rétrospective qui ait été consacrée à ce jour à l’artiste sud-africaine (née en 1974), à voir actuellement au Kunstmuseum Bern (KMB) mais montée par le Zeitz Museum of Contemporary Art Africa (MOCAA) au Cap, puis montrée à New York –, on découvre l’artiste au centre d’une grande photo. Nue, assise de profil dans une vitrine de verre et de bois – comme une curiosité exposée dans un musée d’histoire naturelle –, elle est en train de tondre sa chevelure (Span I, 1997).

«En Afrique du Sud, du temps de l’apartheid, pour savoir si quelqu’un était blanc ou noir, on procédait au test du crayon, entame Kathleen Bühler, commissaire de l’exposition avec Koyo Kouoh et Tandazani Dhlakama du Zeitz MOCAA. Si le crayon tenait seul dans vos cheveux, vous étiez noir. S’il tombait, vous étiez blanc.»

Non loin de ces cheveux censés nous révéler pour mieux nous classer, dans un angle du musée peint d’un rouge sang presque aveuglant, tourne le film Shooting down Babylon (2016), diffusé sur trois écrans empilés les uns sur les autres et donnant son titre à l’exposition. Ici, l’artiste se filme alors qu’elle procède à des rituels de purification, en réaction à l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis.

La Sud-Africaine a choisi de s’engager avec son corps tout entier

On l’aura très vite compris, Tracey Rose sait à la perfection utiliser son corps pour interpeller, choquer, dénoncer ou souligner. Postcolonialisme, racisme, genre, sexualité, aucune thématique ne semble trop vaste, trop lourde, trop complexe pour celle qui est née métisse, à Durban, en plein apartheid justement. Et les médiums pour arriver à ses fins sont nombreux: photographie, films, performances, installations, dessin ou sculpture sont autant de moyens pour servir son propos souvent percutant, parfois théâtral, voire outrancier.

Cœur de cible

Rien ne ronronne ni ne tombe tout cuit dans la bouche lors de l’exploration de Shooting down Babylon. Et cela commence à l’entrée de l’accrochage par cette déclaration rédigée par le KMB le 20 février dernier, servant en quelque sorte d’introduction à l’introduction et soulignant l’opposition du musée à toute forme de discrimination… où l’on apprend que l’artiste avait signé en 2021, parmi des milliers d’acteurs de la culture, une pétition (Letter against Apartheid) soutenant des artistes palestiniens qui dénonçaient «la politique d’apartheid» de l’Etat d’Israël vis-à-vis de la Palestine.

La signature de Tracey Rose a heurté Jonathan Kreutner, secrétaire général de la Fédération suisse des communautés israélites, pour qui l’artiste «défend clairement des positions radicales et non constructives». En réponse, avant le vernissage, la Sud-Africaine a condamné «les attaques cruelles du Hamas (du 7 octobre dernier, ndlr) contre Israël et les graves mesures de représailles prises par le Gouvernement israélien», ainsi que toute forme d’islamophobie, de racisme et d’antisémitisme.

Dureté extrême d’un monde actuel giflé par les guerres, les positions irréconciliables et les dogmes, c’est ce qui se dégage de cette déclaration. C’est aussi le cœur de cible du travail de Tracey Rose, qui sait questionner nos fondamentaux avec une épatante efficacité.

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