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Le mot de la fin

Chronique. cette nouvelle mode ne manque pas d’air

Notre chroniqueuse ne supporte pas que certaines personnes ne prononcent pas le "r". Selon elle, cette lettre donne du caractère à la langue française.


24 novembre 2023 à 19:45

Quat’, êt’e, mett’e! L’air de rien, cette mode des «r» manquants envahit le langage. Des peut-êt’e, des lett’es, des aut’es, des prend’e, des octob’e novemb’e décemb’e, venus le plus souvent de France, à tire-larigot. Les entendez-vous aussi? Ces omissions font saigner mes oreilles.

La lettre «r» n’a pas le charme d’une voyelle, soit. Est-ce une raison pour l’éradiquer à la fin des mots se terminant par «tre» ou «dre»? Privés de leur «r», ces derniers ne respirent plus. Leur caractère se perd, leur terminaison devient lisse et leur diction molle.

Dans notre français, le «r» est rugueux. Il naît dans la gorge, il racle et gratte. Par son mordant, il menace parfois, peut sembler ronchon ou agressif. Il ne possède ni le panache du «r» italien qui roucoule et rebondit, ni le gargarisme de l’anglais un peu spongieux et endormi.

Ce n’est qu’une petite lettre, on peut bien s’en passer

En dépit de sa dix-huitième place au classement ATP de l’alphabet, le «r» grogne toujours. Heureusement! Il se fait entendre dans toutes les autres constellations de lettres. Exemples pris au hasard: Liberté, Fribourg ou Scarlet. Notez, on pourrait l’ignorer et l’étouffer totalement dans un souci de purification alphabétique. Et sur notre lancée, pourquoi ne pas faire pareil avec les autres lettres qui dérangent ou qui ne servent à rien?

Prêt’e, naît’e… Ces mots malmenés risquent de prêter à confusion, mais pas grave. A quoi bon se braquer pour si peu? Le «r» n’est qu’une petite lettre, me direz-vous, on peut bien l’enlever en fin de mot, ça ne s’entend guère, c’est un détail!

La pincée de sel

Eh bien, comment réagiriez-vous si l’on biffait également la virgule au prix du vacherin, là: 2490 francs le kilo? Ou que l’on supprimait la pincée de sel dans les gâteaux et la gousse d’ail dans la fondue? Ce sont des détails sans importance, ils font pourtant toute la différence.

Le langage évolue constamment. Nous ne nous exprimons plus comme Jacquouille la Fripouille et Godefroy de Montmirail, ouf! Le français d’aujourd’hui diffère de celui d’hier, et ne ressemblera pas à celui de demain. Alors, pour en garder la richesse aussi longtemps que possible et faciliter sa compréhension, astreignons-nous à une diction claire.

Au risque de passer pour des énergumènes de l’ère glaciaire, prenons le temps de prononcer les «r». Cela demande peut-être un léger effort, mais ce n’est pas comme s’il s’agissait de soulever des pierres. Et barjaquer à contre-courant des modes ou des tics de langage, cela a toujours son charme.

Comment? Vous avez dit què’que chose? Oui, chuis d’accord: à l’écrit, le «r» n’a pas encore disparu. Mainant, dans l’évolution du français, l’oral a toujours dominé l’écrit. C’est connu, donc j’vous l’prédis: par commodité, nous simplifierons bientôt tout et nous écrirons comme nous parlons.

Alors, êt’e et ne pas être, la question ne se posera plus.

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