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Le mot de la fin

Chronique. Ces gens-là ne font pas de manières


29 janvier 2024 à 11:00

Certaines chansons touchent à du profond. Le Loir-et-Cher, de Michel Delpech, date de 1977. Ses paroles trottent encore dans les têtes: «Ma famille habite dans le Loir-et-Cher/Ces gens-là ne font pas de manières/Ils passent tout l’automne à creuser des sillons…»

Un des tubes de l’année 1977 évoquait avec affection le monde paysan, le retour à la terre. Cela peut surprendre en 2024, où les agriculteurs inspirent moins d’urbanité aux esprits urbanisés. Et où ils ne se gênent pas de semer la pagaille en Allemagne, en France et ailleurs au nom d’une révolte existentielle.

Dans la chanson de Delpech, tout sonne vrai. On entend des agriculteurs déplorer les trop rares visites du fiston parti à la ville. Cette récrimination s’entendait aussi dans les campagnes romandes. «Pourquoi ne viens-tu pas plus souvent?» demandaient l’oncle et la tante, dans leur ferme ouverte à tous.

Les fiers héros des idylliques publicités suisses

Les terriens du Loir-et-Cher étaient plus taquins. Delpech le chantait: «Ils me disent, ils me disent/Tu vis sans jamais voir un cheval, un hibou». Suivait ce cri du cœur: «Tu ne penses plus à nous/On dirait que ça te gêne de marcher dans la boue/On dirait que ça te gêne de dîner avec nous…»

En 1977, la société s’éloignait déjà du monde rural mais les racines tenaient. Chaque nez avait senti l’odeur des foins ou de l’écurie, chaque enfant savait que les carottes ne poussent pas dans les supermarchés. Les paysans ne connaissaient pas leur bonheur.

Vilain pollueur!

Entre-temps, leurs effectifs et leurs exploitations ont fondu comme le sucre dans le café. «On dirait que ça te gêne de marcher dans la boue»: aujourd’hui, un rat des champs risquerait l’incompréhension en disant cela à un rat des villes. Euh… c’est quoi la boue?

Depuis Delpech, on a aussi vu ça aux Pays-Bas: la police tirer à balles réelles sur une manifestation d’agriculteurs (Heerenveen, juillet 2022). Il arrive qu’un gouvernement exagère avec les gens qui ne font pas de manières.

En Suisse, ô exception, la modernité n’empêche pas les sentiments. Agriculteurs, maraîchers et viticulteurs suscitent toujours de l’admiration dans leur aventure de tous les jours. Nos paysans, au fond, nous les aimons bien. Assez, en tout cas, pour en faire les héros de publicités idylliques et conformes au folklore national.

Depuis Delpech, cependant, on a changé de disque. Le refrain d’aujourd’hui rimant avec écologie, il dispense de toute sympathie. Il désigne l’agriculteur comme un pollueur qui flingue la planète. Cela fait beaucoup pour une paysannerie déjà cernée par le bétonnage, les impératifs du rendement et mille contraintes.

Attention l’Europe, les agriculteurs déboulent en ville. A défaut de les envoyer illico à la casse, eux et leurs traditions, il faut calmer leur colère. Des éminences s’y emploient en allant sur le terrain. Et qu’on ne dise pas que ça les gêne de marcher dans la boue, hein!

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