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Marly. un entraîneur de basket burundais menacé d'expulsion

Menacé, Urlich Ishimwe a quitté son pays pour se réfugier en Suisse, qui veut maintenant l’expulser

Marly, salle Grand-Pré; Basketball: Urlich Ishimwe, réfugié burundais, entraîne les jeunes Photo Lib / Charly Rappo, Marly, 10.02.2023Charly Rappo/Charly Rappo / La Liberté

15 février 2023 à 22:23

Basketball » Dans la salle de Grand-Pré à Marly, Urlich Ischimwe encadre les jeunes basketteurs du club local. Du mardi au vendredi, le réfugié burundais cherche à retrouver un semblant de normalité dans sa vie qui a été totalement chamboulée en mai dernier.

«J’étais l’entraîneur d’Aigle noir, l’équipe du président du parti au pouvoir (le Conseil national pour la défense de la démocratie – Forces de défense de la démocratie, ndlr). J’étais payé près d’un million de francs par mois (l’équivalent de 400 francs suisses, ndlr), j’avais droit à une maison et à une voiture. J’étais trop content», raconte Urlich Ishimwe, né il y a 30 ans à Bujumbura, capitale économique du Burundi avec ses 1,2 million d’habitants.

«J’étais payé près d’un million de francs par mois»
Urlich Ishimwe

«J’ai connu plusieurs blessures comme joueur. Je me suis notamment cassé le bras. J’ai été mal plâtré et aujourd’hui, je n’arrive plus à faire un lay-up», explique-t-il en mimant le geste sans parvenir à orienter correctement son poignet. A l’âge de 17 ans, Urlich Ishimwe a commencé à s’occuper des petits basketteurs de son quartier. «On me versait l’équivalent de 3 francs suisses par mois. Je voulais tellement être coach que je l’aurais fait gratuitement», avoue-t-il.

La prison et la mort

Après les jeunes, il a entraîné une équipe de 2e division, ensuite une formation féminine en 1re division, puis il a rejoint le club du président de la Fédération. Les résultats sont au rendez-vous. «En 2020, nous avons remporté huit Coupes lors de la même saison!» relate le trentenaire non sans fierté. C’est à ce moment-là qu’il rejoint l’équipe d’Aigle noir. «J’étais respecté, car je travaillais pour le président du parti au pouvoir, la personne la plus importante du pays. Il n’avait pas beaucoup de temps, alors je m’occupais de tout pour le club», poursuit Urlich Ishimwe.

L’histoire se corse au début 2022. «On m’a demandé de loger de jeunes gens qui allaient ensuite combattre les rebelles tutsis à la frontière avec le Congo. J’habitais un quartier tutsi. Les gens commençaient à m’interpeller: «Comment peux-tu loger ces gens qui vont ensuite tuer les nôtres?» me lançaient-ils. Ça devenait tendu. J’ai dit à mes supérieurs que je ne voulais plus accueillir de jeunes dans ma maison», raconte le coach de basket.

«Le président m’a appelé pour fustiger mon manque de reconnaissance»
Urlich Ishimwe

La réaction ne s’est pas fait attendre. «Le président m’a appelé pour fustiger mon manque de reconnaissance. «Après tout ce que j’ai fait pour toi, comment peux-tu me refuser ça? Toi, aussi, tu soutiens la rébellion au Congo?», m’a-t-il reproché.» La situation d’Urlich Ischimwe s’est encore envenimée après ce coup de fil. «J’ai reçu un mandat d’arrêt, apporté par le chef du quartier, qui disait que j’avais trahi le pays.» Un mandat qui a valeur d’arrêt de mort, selon le Burundais, marié et père de deux enfants en bas âge. «Si on se présente au tribunal, on finit en prison, où nous sommes tués durant la nuit. Les autorités camouflent ça en disant que le prisonnier s’est échappé et qu’elles n’ont plus de nouvelles…»

La fuite vers la Serbie

Plutôt que de se rendre au tribunal, Urlich Ishimwe prend congé de sa famille et part à l’aéroport. Pour échapper à la vigilance des «Imbonerakure», un groupe de jeunes en charge de la sécurité dans le pays, affilié au parti au pouvoir, il enfile un gros pull et un chapeau. Reconnu par l’un de ces jeunes, il dit qu’il part au Rwanda pour assister à un match. A la place, il s’envole pour la Serbie, un pays qui n’exigeait alors pas de visa pour les ressortissants burundais.

Son arrivée sur le continent européen le fait basculer dans la précarité. «Je suis venu presque sans argent, avec seulement un sac à dos pour ne pas éveiller les soupçons. Après deux semaines en Serbie, j’ai cherché à entrer dans l’Union européenne», poursuit le trentenaire. Pendant que sa femme et ses enfants avec qui il essaie de garder le contact quittent la capitale pour aller se cacher à l’intérieur des terres, Urlich Ischimwe passe en Bosnie, puis il essaie de rejoindre la Croatie. Il réunit ses économies pour payer des passeurs. Il collectionne les échecs, se fait voler son téléphone avant de franchir la frontière à sa… cinquième tentative. Placé dans un centre pour requérants d’asile, il est obligé de donner ses empreintes digitales. «On était maltraité, mal nourri. Il n’y avait pas de médecin et toujours cette crainte que la police appelle le Gouvernement burundais pour me renvoyer. Dès que j’ai eu l’occasion de partir, je suis parti», raconte-t-il.

Son projet? «Rechercher un pays sûr, un pays qui respecte les droits humains et qui ne connaît pas de corruption», résume-t-il. Ça sera donc la Suisse. Après Boudry dans le canton de Neuchâtel, il est envoyé à Fribourg, dans le centre pour requérants d’asile de la Gouglera d’abord, puis à Grolley. Depuis l’automne passé, il a retrouvé le chemin des salles de basket. «J’aide bénévolement le club de Marly quatre soirs par semaine, mais je ne peux pas rester. Mon dossier a été jugé négativement, mon recours aussi par le SEM (le Secrétariat d’Etat aux migrations, ndlr). J’ai jusqu’au 13 juin pour retourner en Croatie. Je ne veux pas. Car je sais que là-bas, on me renverra au Burundi où je me retrouverai en prison… J’aimerais que la Suisse reprenne le suivi de mon dossier.»

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