Championnats de Suisse » «Au quatrième rang de cette finale du 400 m haies, Alizée Rusca, SA Bulle, en 58’’94…» Le speaker n’a pas eu le temps de mettre un point final à sa phrase que la Fribourgeoise de 22 ans s’est écroulée et a éclaté en sanglots. Au milieu de ce bruyant torrent de larmes, un large sourire a ému une bonne partie du Stade Hard de Langenthal, théâtre ce week-end des championnats de Suisse. Rarement une médaille en chocolat n’avait eu un arrière-goût aussi savoureux. «Tout ce qui m’importait, c’était de finir sous les 59’’20 et me qualifier pour les championnats d’Europe U23», rappelle la Giblousienne, chaudement félicitée par Lea Sprunger, championne nationale en 55’’16 devant Yasmin Giger et Annina Fahr.

«C’était ma toute dernière chance.»
Alizée Rusca

Avec 26 centièmes de marge, Alizée Rusca a donc atteint son grand objectif de la saison, pour lequel elle s’est consacrée presque exclusivement à l’athlétisme grâce à une campagne de financement participatif, un jour avant la date butoir. «C’était ma toute dernière chance. D’où les larmes de soulagement qui m’ont envahie. Je savais que j’en étais capable. Encore fallait-il être capable de vivre le moment présent. Là où je suis fière de moi, c’est que j’ai réussi à ne pas être submergée par les émotions.» Elle éclate de rire: «Avant, la course, je précise!»

L’argent aux forceps

L’accolade avec Charles Devantay, l’athlète qui partage sa vie, et celle tout aussi touchante de Kenny Guex, le coach du Lausanne-Sports qui l’a prise sous son aile il y a une année, témoignent du chemin parcouru. En seulement cinq tentatives, la néohurdleuse a fait passer son chrono de référence de 61’’58 à 58’’94, un temps synonyme de nouveau record fribourgeois. Un gain de deux secondes et demie en un peu plus d’un mois qui laisse son entraîneur admiratif. «C’est un modèle d’abnégation et de détermination. Pour être tout à fait honnête, Alizée y croyait plus que moi», avoue Kenny Guex.

Si Alizée Rusca a bluffé tout son monde, samedi à 16 h 21, que dire d’Audrey Werro, auteure d’une démonstration 21 minutes plus tard? A Langenthal, où elle disputait, à 17 ans, ses premiers championnats de Suisse élites, le prodige fribourgeois du 800 m a fait passer un frisson dans les tribunes du stade en se parant d’argent de manière spectaculaire. De quoi arracher quelques larmes à ses parents, Philomène et Claude Werro, ainsi qu’à Christiane Berset-Nuoffer et Julien Nuoffer, respectivement entraîneure et membre du comité au CA Belfaux.

«Je n’ai jamais vu ça! D’autres filles de son âge se seraient liquéfiées à cause de la pression.»
Benoît Babey

Un peu plus loin, Benoît Babey, responsable demi-fond de la jeune génération pour la fédération, n’en croyait pas ses yeux: «Je n’ai jamais vu ça! D’autres filles de son âge se seraient liquéfiées à cause de la pression. Elle non. Audrey est physiquement constante sur toute la course. Hormis peut-être Delia Sclabas, je ne me souviens pas avoir vu une athlète aussi jeune dotée d’un tel potentiel ces dix dernières années. Entre une morphologie parfaite et un entourage sain, Audrey a tout pour atteindre le niveau mondial.»

Pas plus que Valentina Rosamilia, Delia Sclabas – médaillée de bronze de la spécialité lors des championnats du monde U20 de 2018 – n’a été en mesure de résister au tour de force d’Audrey Werro, encore quatrième à quelques dizaines de mètres de l’arrivée. La Lacoise au mental d’acier a coupé la ligne en 2’02’’88 après avoir joué des coudes, le visage marqué par l’effort, une fois n’est pas coutume.

«C’est la première fois que je me suis mise autant dans le rouge pour aller au bout. Je me suis dit qu’il aurait été bête de rater le podium pour si peu», souffle la nouvelle vice-championne de Suisse, montée sur la boîte juste avant l’intouchable Lore Hoffmann (2’01’’65). La Valaisanne de 24 ans, qualifiée pour les Jeux olympiques de Tokyo, ne tarit pas d’éloges sur sa plus proche concurrente. «Quand j’avais l’âge d’Audrey, il me fallait 10 secondes de plus pour courir le 800 m», confie-t-elle dans un sourire qui en dit long.

Une médaille à Tallinn?

Après l’or de Nicolas Berset en 2001 et le bronze de la perchiste Mélissa Page en 2011, le CA Belfaux poursuit sur son rythme d’une médaille par décennie à des championnats de Suisse actifs en extérieur. Le club belfagien peut même se mettre à rêver d’ajouter très bientôt un métal continental à son palmarès. «Audrey a le deuxième temps européen de sa catégorie», note Christiane Berset-Nuoffer, prudente à l’heure de se projeter: «Il y aura plein de nouvelles choses à gérer, à commencer par l’enchaînement de trois courses.»

Attendue aux championnats d’Europe U20 à Tallinn du 15 au 18 juillet, Audrey Werro sera précédée par Alizée Rusca, qui visera une place en demi-finales aux Européens U23, organisés dans le même stade estonien la semaine d’avant. «C’est bien la première fois de ma vie que je me réjouis de faire des tests PCR», conclut la spécialiste du 400 m haies, plus à un obstacle près.

Devantay en argent, Vancardo dépitée

Malgré un temps proche de son record personnel, Charles Devantay n’a rien pu faire contre Ricky Petrucciani au 400 m. Une discipline dans laquelle Veronica Vancardo traverse un passage vide.

Après le bronze de Pascal Mancini au sprint vendredi et l’argent d’Audrey Werro samedi, une troisième médaille est venue étoffer le bilan fribourgeois de ces joutes nationales 2021. Attendu sur le podium du 400 m hier, Charles Devantay saura se satisfaire de la deuxième place compte tenu de l’état de forme affiché par Ricky Petrucciani, champion de Suisse en 45’’69.