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Rentrée littéraire. Violaine Bérot rêve de vivre en utopie

Eleveuse de chèvres puis de romans, l’écrivaine d’altitude, nichée dans une cabane des Pyrénées, interroge nos sociétés idéales. Rencontre

Née en 1967, l’écrivaine a fait le choix de se retirer dans une cabane de montagne, d’où elle questionne notre rapport à la nature.

19 août 2022 à 17:32

Littérature » Le monde doit être changé, certes. Mais sommes-nous véritablement prêts à renoncer au confort des habitudes pour faire advenir la révolution? L’interrogation traverse l’époque, et l’œuvre de Violaine Bérot, chantre sérieuse du retour à la nature. Bref et elliptique, son dernier roman, sorti jeudi, brille comme un curieux miroir de nos idéaux, au cœur de cette rentrée littéraire riche en sociétés réinventées (lire ci-dessous).

«Je suis idéaliste, je crois à une société basée sur l’échange et l’entraide. Mais la mise en œuvre est toujours plus difficile qu’on ne le pense… L’écriture est une manière d’exprimer cette difficulté, et de creuser mes propres incohérences», confie l’écrivaine, que l’on rencontrait en début d’été à Lausanne.

«A 30 ans, j’ai tout plaqué pour m’installer en montagne avec un troupeau»
Violaine Bérot 

Il faisait chaud, déjà. En ses montagnes pyrénéennes aussi, où l’hiver aura bientôt disparu. «Le changement est très fort, les nuits de gel se comptent désormais sur les doigts d’une main. Avec le réchauffement est arrivé aussi un vent qu’on n’avait jamais eu, et qui déracine les grands arbres. J’habite un coin perdu au milieu de la forêt, ça tombe de partout…» C’est là, sous les frondaisons de ce sanctuaire en perdition, qu’elle écrit – papier, crayon, installée contre un tronc couché.

Où naissent des milliers de pages qui deviennent de courts romans, forts, sensibles, souvent allusifs. «J’ai l’impression d’avoir très peu d’imagination. Je fais une partie du boulot en trouvant la forme, l’ambiance, et je me dis que le lecteur va créer, presque inconsciemment, ce qui manque dans mon texte.»

Renverser le vieux monde

Ainsi, on ne sait trop où ni quand se situe C’est plus beau là-bas, son onzième roman; probablement en France, au lendemain d’une élection présidentielle. Un prof d’université, très apprécié des étudiants pour ses talents d’orateur, se retrouve enfermé dans un hangar après un enlèvement brutal. La temporalité se dilue dans l’angoisse, enfin l’homme est choisi parmi les autres prisonniers, trimballé dans un camion puis propulsé sur l’estrade du monde d’après: lui, le spécialiste de l’idéalisme, grand théoricien du renversement social, acclamé par une jeunesse exaltée qui semble avoir pris le pouvoir en suivant ses préceptes. «Tu te retrouves donc en pleine illustration de ce que tu préconisais». Mais le héraut devenu héros, tétanisé par son utopie en acte, se révèle incapable de s’adapter aux exigences collectives de ce nouveau vivre-ensemble, qu’il préférera fuir pour «se contenter de marcher vers le beau».

«Je suis idéaliste, je crois à une société basée sur l’échange et l’entraide»
Violaine Bérot

Une allégorie politique et poétique, conte moderne qui tutoie son protagoniste comme pour mieux s’adresser à nos velléités de renverser le vieux monde. «J’avais envie de questionner l’idéalisation de ces modes de vie alternatifs, tout en restant persuadée que c’est vers cela qu’il faut se diriger», note l’autrice. Pas si simple, le retour à la terre, qu’elle mettait aussi en scène dans Comme des bêtes, son précédent roman, adapté ces jours-ci sur la scène de l’Orangerie de Genève (jusqu’au 28 août). Aux urbains harassés qui disent leur envie d’aller élever des chèvres pour être enfin tranquilles, Violaine Bérot répond: rien n’est moins accaparant.

Mais cette vie a du sens, elle en a fait l’âpre et belle expérience. «J’étais ingénieure en intelligence artificielle, et je ne voyais plus l’intérêt de travailler dans un sous-sol, derrière un ordinateur, pour gagner l’argent qui me permettrait de partir en vacances. Pourquoi ne pas vivre directement à l’endroit qui nous rend heureux? Je me suis dit: trouve-toi un endroit où tu es bien et invente-toi un métier. A 30 ans, j’ai tout plaqué pour m’installer dans la montagne avec un troupeau.» Au cœur des paysages de son enfance, elle habitera la pente, élevant des chèvres et vivant de leur fromage.

«Pourquoi ne pas vivre directement à l’endroit qui nous rend heureux?»
 Violaine Bérot

Pendant 12 ans, pas une seule ligne; les bêtes, si on les considère comme du vivant, accaparent l’esprit. Mais en 2012, c’est le corps qui lâche. Une tique lui transmet la maladie de Lyme et la force à une nouvelle réorientation. «Je ne pouvais plus marcher, j’ai dû arrêter l’élevage, donner toutes mes bêtes. C’est à ce moment que je me suis remise à l’écriture, comme une autre manière d’interroger les rapports entre l’humain et son environnement.»

Renoncer au silence

Rapports désormais hantés par la catastrophe permanente. Comment faire encore société au seuil du «presque inévitable désastre»? Violaine Bérot ne cache pas son profond pessimisme, issue d’une génération qu’elle considère comme incapable de se déposséder. Mais celle qui n’a jamais voulu avoir d’enfants croit au soulèvement de la jeunesse, à sa force révolutionnaire. Quelques semaines avant notre rencontre, des étudiants d’AgroParisTech, dans une vidéo devenue virale, annonçaient lors de la remise de leur diplôme vouloir renoncer aux métiers «destructeurs» qui les attendaient, pour y préférer l’apiculture, l’agriculture vivrière ou l’engagement écologiste… «Etre cohérent avec ses idées, voilà le défi de notre temps.»

«Etre cohérent avec ses idées, voilà le défi de notre temps»
 Violaine Bérot

Et c’est aussi le sien, elle qui croit foncièrement aux vertus du communautarisme local, fondé sur le troc et le dialogue entre les âges. Incapable pourtant, à l’image de son personnage, de renoncer au silence d’où elle écrit. «Je sais que cela aurait du sens, et particulièrement en montagne, de vivre à plusieurs. Mais je ne suis pas prête à abandonner ma solitude.» Dans sa cabane d’altitude, avec l’électricité d’un panneau solaire, l’eau d’un ruisseau et la joie de l’imaginaire, elle est le plus petit dénominateur commun de nos utopies.

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