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Stephen King délaisse ses monstres

Stephen King publie Billy Summers, un thriller intimiste fort éloigné du genre fantastique qui a fait sa renommée.


16 septembre 2022 à 16:55

Littérature américaine » Tous ceux qui ont un jour croisé Billy Summers vous diront que ce type est un parfait idiot, incapable d’aligner deux phrases correctement ordonnées. Billy a peu d’intérêts dans l’existence, à l’exception de ces bandes dessinées érotiques bon marché qu’il collectionne scrupuleusement. Tout ça, pourtant, n’a guère d’importance: Summers est un tueur à gages, une machine de guerre capable de loger sa balle dans l’œil d’une mouche volant à trois kilomètres de là. Autant dire que la pègre l’adore, quand bien même le garçon a pour principe de n’éliminer que des «méchants».

Même en prenant ce type de «précaution», Billy n’en peut plus de son job. Il souhaite raccrocher après le dernier gros coup que lui propose un parrain de Las Vegas: faire sauter la cervelle d’un individu louche qui, dans quelques mois, se présentera devant le tribunal d’une petite ville du Sud. En attendant le jour J, il va devoir se fondre dans la population en se faisant passer pour un écrivain dont l’agent a choisi ce trou perdu pour qu’il achève son roman avant la saison littéraire. En découvrant la couverture qu’on lui propose, le flingueur se dit que le hasard est particulièrement retors. De fait, tout le monde ignore que son inculture n’est qu’un des moyens qu’il a choisis pour brouiller les pistes si un jour, la situation se corsait.

Jouer l’artiste

En réalité, Billy Summers chérit la littérature plus que tout. Il a tout lu ou presque, de Charles Dickens à Robert Stone (La Ligne de fuite fait partie de ses références) en passant par l’intégrale de Truman Capote. Mais c’est Emile Zola qui demeure son écrivain préféré. Durant tout un été où il va jouer à l’artiste pétri d’humilité, heureux de s’intégrer dans une communauté paisible, Billy va avoir le temps de songer à ce qu’aurait pu être sa carrière, s’il n’avait pas joué les idiots…

Aux premières heures de l’automne (l’ouvrage sortira mercredi 21 septembre prochain), Stephen King se rappelle au bon souvenir des libraires et des lecteurs en lançant Billy Summers, un pavé de 551 pages. Pour l’occasion, l’écrivain du Maine a soigneusement rangé dans un tiroir ce titre de «maître de l’horreur» que lui ont décerné avec délectation des millions de fans. On cherchera en vain ici la trace d’un clown tueur immortel, d’une bagnole qui assassine, d’une porte menant tout droit au cœur d’un monde parallèle ou d’un de ces monstres hybrides qui démembrent les victimes les nuits de pleine lune.

Billy Summers nous permet de retrouver «l’autre Stephen King», celui qui ne redoute pas le réel, celui qui se mue en peintre subtil d’une Amérique profonde, ce territoire où l’humanité qui fait défaut aux citoyens des jungles urbaines demeure une valeur sûre.

Sa face B

Ce n’est certes pas la première fois que l’habile conteur abandonne un folklore lucratif où les créatures de l’enfer avides de tripes fraîches sont constamment à la fête. Depuis longtemps, King a pris pour habitude d’emprunter les voies du récit initiatique, de la chronique sociale ou du thriller, histoire sans doute de respirer entre deux sagas horrifiques. Des romans tels que Misery, Dolores Clairbone, Colorado Kid, Après, Cœurs perdus en Atlantide, Joyland et quelques autres témoignent d’une envie pressante d’aborder et de conquérir d’autres espaces. Personne n’a en effet oublié que Le Corps, une nouvelle datée de 1982, a permis quatre ans plus tard à Rob Reiner de réaliser Stand By Me, soit l’un des films les plus bouleversants jamais consacré à l’enfance.

On cherchera en vain ici la trace d’un clown tueur immortel, d’une bagnole qui assassine, d’une porte menant tout droit au cœur d’un monde parallèle ou d’un de ces monstres hybrides qui démembrent les victimes les nuits de pleine lune.

Billy Summers, donc, nous connecte à «l’autre King», à sa «face B». Sous ses dehors de thriller haute tension, le roman s’impose comme une étude psychologique remarquable. Le héros, ancien sniper des forces spéciales envoyées en Irak, est un personnage en marge égaré dans l’Amérique de Donald Trump (punching-ball favori d’un auteur connu pour ses sympathies démocrates). Un homme perdu, sans amour, qui va, tout au long d’une première partie dépourvue de la moindre scène d’action, rêver à ce qu’aurait pu être sa vie, au milieu de gens simples et généreux, aux côtés d’enfants rieurs gavés d’amour.

Le gazon qui pousse

L’habileté avec laquelle King nous force à tourner les pages alors que son Billy se contente de faire ses courses ou de boire une bière avec ses voisins tout en regardant le gazon qui pousse est stupéfiante. Il ne se passe rien et pourtant il est impossible de lâcher ce bouquin rédigé dans une langue simple mais belle. Par l’intermédiaire de son attachant personnage, l’auteur fantasme une existence de rêve, sans violence. Un monde où le mal a disparu. Un monde sûrement irréel, fantastique dans un certain sens, inaccessible en tout cas pour le malheureux Summers, condamné à s’enfoncer dans le noir pour avoir pressé une fois de trop la détente de son arme au terme d’un été inoubliable.

La seconde partie du livre, si elle tient davantage du thriller haute tension, n’en est pas moins remarquable. Recherché par de multiples équipes de tueurs, le héros va, avec pudeur et douceur, accompagner jusqu’à sa totale guérison une jeune fille victime d’un viol que le hasard a placé sur sa route.

Il est trop tôt pour savoir si les admirateurs de Stephen King plébisciteront Billy Summers, comme ils continuent de plébisciter Ça, La Tour sombre, Dôme ou Shining, livre iconique dont le destin du fameux hôtel Overlook est ici brièvement évoqué. Cela n’a guère d’importance: le roi, quoi qu’il advienne, est au sommet de son art.

Stephen King, Billy Summers, Ed. Albin Michel, 551 pp.

Trois nuances de King

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