Logo

Écrans

«La Nuit du 12». un thriller désespéré

Dominik Moll signe un polar d’une rare densité, une enquête funèbre qui vous hante bien après la séance

Bastien Bouillon et Bouli Lanners, un incroyable duo d’enquêteurs embourbés dans une sale affaire.

12 juillet 2022 à 14:56

La Nuit du 12 » On raconte «qu’à la police judiciaire, chaque enquêteur tombe un jour ou l’autre sur un crime qu’il n’arrive pas à résoudre et qui le hante». Pour Yohan (Bastien Bouillon), c’est le meurtre de Clara, une jeune femme retrouvée brûlée vive dans une station de la vallée de la Maurienne, au-dessus de Grenoble. Les interrogatoires se succèdent et les suspects défilent… Mais la seule certitude est que le crime a eu lieu la nuit du 12.

Après le très bon Seules les bêtes (2019), Dominik Moll revient avec un thriller désespéré, un polar funeste du genre qui vous obsède encore longtemps après que les lumières se sont rallumées. La Nuit du 12 est à n’en pas douter l’excellente surprise cinématographique de cet été. Un film tendu et ténébreux qui sonde la noirceur de l’âme humaine, adapté du livre 18.3: Une année à la PJ de Pauline Guéna. Interview avec un cinéaste à part dans le paysage hexagonal.

 
 

Comment est née l’envie d’adapter à l’écran le livre de Pauline Guéna avec la complicité de votre scénariste Gilles Marchand?

Dominik Moll: L’idée d’un enquêteur hanté par une affaire non résolue n’est pas révolutionnaire mais le livre m’a happé. Pauline Guéna a passé une année en immersion à la police judiciaire de Versailles, et j’étais très curieux de cette vision de l’intérieur. D’autant plus que c’est écrit par une femme et que la PJ reste un bastion masculin. De toutes les enquêtes racontées dans le livre, c’est cette affaire Clara qui m’a le plus touché. Je voulais explorer comment un crime pouvait toucher intimement un enquêteur.

Dès le début, vous annoncez que le crime n’est pas résolu. Vous n’avez pas peur de dérouter le public?

Cela casse les codes du film policier, c’est certain, mais cela se produit assez fréquemment dans la réalité… Cela permet surtout de regarder ailleurs et de raconter de manière assez documentée le travail de la police. Et puis cette histoire de féminicide examine aussi le rapport difficile entre les femmes et les hommes. Comme le dit un des personnages: «Il y a quelque chose qui cloche». Je n’ai jamais eu peur de frustrer le public. En jouant cartes sur table, on rentre dans l’enquête en s’identifiant aux policiers. Et puis le film ne manque pas de suspects.

Le rapport hommes-femmes est le fil rouge. Où voulez-vous en venir?

C’est clairement quelque chose qui est dans l’air du temps, avec le mouvement MeToo par exemple. Avec mon scéna riste, Gilles Marchand, nous essayons d’être à l’écoute de notre époque et d’alimenter la réflexion. Le film n’est pas un manifeste mais plus un questionnement sur la masculinité et la criminalité tout en tentant de démonter certains raccourcis.

Pourquoi avoir situé votre film à la montagne, notamment dans la petite ville de Saint-Jean-de-Maurienne?

Cela résonnait bien avec le sujet. Les montagnes ont à la fois quelque chose de majestueux et d’oppressant. La géographie ramène à l’idée que les policiers piétinent sur une affaire à l’horizon bouché. Saint-Jean est de plus l’opposé absolu d’une ville idyllique. Il y a des barres d’immeubles, une grosse usine d’aluminium. C’est une représentation miniature du monde.

«Ce n’est pas un manifeste mais un questionnement sur la masculinité et la criminalité» 
Dominik Moll

Avez-vous échangé avec des enquêteurs de la PJ?

Nous nous sommes appuyés sur le livre, qui a fourni beaucoup de détails, mais pas seulement. J’ai ressenti le besoin de voir cela de mes yeux et j’ai passé une semaine en immersion à la PJ de Grenoble. Cela m’a notamment permis de saisir la dynamique de groupe de ces policiers, leur façon de désamorcer par l’humour les situations difficiles.

Le duo Bastier Bouillon-Bouli Lanners est inédit et surtout très efficace…

Le film n’a pas été écrit avec des acteurs en tête. J’avais déjà tourné avec Bastien Bouillon dans Seules les bêtes et il était parfait pour ce rôle. Le casting est un art de l’équilibre. Bouli Lanners apportait une humanité nécessaire à son personnage. Mais je pourrais dire cela de tous les comédiens qui doivent, pour certains, exister en une seule scène.

Le polar est un genre balisé. Vous vouliez vous démarquer de la concurrence?

C’est un genre effectivement balisé et notamment à la télé. Notre crainte était de faire un long téléfilm. Il y a forcément des influences mais elles ne sont pas obligatoirement conscientes. Certaines personnes évoquent David Lynch ou David Fincher… Mais ça reste de l’ordre de l’inconscient. En écrivant, nous pensions plutôt aux films de Jean-Pierre Melville et notamment Le Samouraï avec Alain Delon.


CRITIQUE

Un polar unique et fascinant

Dominik Moll occupe une place à part dans le paysage cinématographique français. Celui qui s’est fait connaître en 2000 avec un thriller oppressant qui a fait l’unanimité, Harry, un ami qui vous veut du bien, a depuis labouré un sillon toujours plus surréaliste, de l’épatant Lemming aux accents lynchiens au déroutant Le Moine, avec Vincent Cassel, honni à sa sortie en 2011. Le cinéaste est revenu sur le devant de la scène en 2019 avec Seules les bêtes, après des escapades du côté des séries télévisées (Tunnel et Eden). Un retour en grâce qui se confirme définitivement avec La Nuit du 12. Ce nouveau long-métrage d’un réalisme étouffant commence pourtant comme une banale enquête à la suite d’un meurtre particulièrement sordide: une jeune femme est retrouvée morte après qu’un inconnu l’a aspergée d’essence et lui amis le feu.

A partir de là, tout déraille dans une enquête qui multiplie les suspects mais qui ne parvient jamais à lever le doute. Une descente en rappel dans la noirceur des comportements humains qui va ébranler les certitudes des policiers mais aussi celles des spectateurs. Usant à bon escient des ruptures de ton, Dominik Moll grave sur la pellicule un film qui fait honneur à l’ironie de l’existence. On pense parfois à Lynch, à Fincher, mais aussi au Memories of Murder de Bong Joon-ho… Au-delà du jeu des références, La Nuit du 12 est un polar unique et fascinant.

Ce contenu provient de notre ancien site web. Il est possible que sa mise en page ne soit pas idéale. En savoir plus

Dans la même rubrique