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Écrans

Un film sur l’enfer des migrants mineurs

Les Dardenne livrent un thriller social radical sur le destin de deux jeunes migrants

Le jeune Pablo Schils (Tori) assume son premier rôle de cinéma avec brio.

4 octobre 2022 à 15:32

Tori et Lokita » Avec les frères Dardenne on sait toujours à quoi s’attendre. Leur nouvelle réalisation Tori et Lokita ne fait pas exception et contient l’ADN des deux cinéastes belges: un style épuré sans recherche esthétique apparente, un travail de caméra qui plonge au cœur de l’action, pas ou peu de musique et surtout un refus systématique de faire vibrer la corde sensible du pathos. Ce nouveau long-métrage, primé au dernier festival de Cannes par un Prix du 75e anniversaire – une Palme d’or déguisée? Luc et Jean-Pierre Dardenne en possèdent déjà deux –, s’attarde sur le destin de deux jeunes migrants non accompagnés dans la Belgique d’aujourd’hui.

Le plus jeune, Tori, est encore un enfant. Dans son pays d’origine, le Bénin, il est né avec une marque d’infamie, celle d’«enfant-sorcier». Persécuté, il a traversé la Méditerranée et a terminé son voyage en Belgique où il a pu réclamer des papiers. Sur le bateau de l’exil, il a rencontré Lokita, une adolescente originaire du Cameroun. Comme elle ne peut justifier d’être régularisée auprès des autorités belges, la jeune migrante se fait passer pour la grande sœur de Tori. Ces deux êtres à la dérive sont désormais liés.

Dans les griffes du réseau

On découvre tout d’abord le quotidien difficile de Tori et de Lokita qui vivotent dans la région de Liège. Tori est hébergé dans un foyer et suit une scolarité chahutée. Le soir, il accompagne Lokita dans ses livraisons de pizzas, ou plus exactement des livraisons de cannabis effectuées pour le compte d’un réseau opérant depuis un restaurant italien. Le patron, Betim, fait miroiter à Lokita des faux papiers qu’elle n’obtiendra qu’en échange de ses livraisons et de faveurs sexuelles.

Tori et Lokita forment un duo attachant avec lequel on est en empathie

Prise dans les griffes de ce réseau violent et sans scrupule, l’adolescente est envoyée dans un entrepôt comme «jardinière». Enfermée durant trois mois, totalement coupée du monde extérieur, sans téléphone portable et avec quelques surgelés pour toute nourriture, elle doit s’occuper des centaines de plants de cannabis qui poussent sous des lampes UV. Tori se met en tête de la retrouver et de la délivrer. Dans le même temps, les passeurs qui ont organisé le voyage des deux héros les pourchassent pour leur prendre le peu d’argent qu’ils parviennent à gagner avec leurs activités illégales.

Un style radical

Dans ce film fermement ancré dans un contexte social brutal, l’espoir d’une vie meilleure n’existe que dans les chansons que Tori et Lokita entonnent parfois dans les bars. L’ambiance est résolument noire, oppressante, étouffante. La caméra des frères Dardenne ne lâche que très rarement le gamin et l’adolescente, qui ont la particularité d’être interprétés par des novices. Joely Mbundu (Lokita) et Pablo Schils (Tori) forment un duo très attachant avec lequel le spectateur est en empathie dès les premières minutes. Et mieux vaut avoir le cœur bien accroché tant Tori et Lokita déroule sa descente aux enfers avec une rigueur implacable.

Retrouvant la radicalité de leurs débuts – on pense à La Promesse ou à Rosetta – les frères Dardenne chassent sur les terres du thriller, notamment dans une seconde partie haletante. L’histoire est d’autant plus prenante que le réalisme visuel est servi par un montage nerveux, sans fioriture et d’une efficacité angoissante. «Notre plus cher désir est qu’à la fin le spectateur qui aura ressenti une profonde empathie pour ces deux jeunes exilés éprouve aussi un sentiment de révolte contre l’injustice qui règne dans nos sociétés», écrivent les Dardenne dans le dossier de presse. On ne peut que constater que l’objectif est atteint.

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