Logo

Écrans

Un aller simple pour l’enfer

Avec Les Papillons noirs, Olivier Abbou dynamite la série pantouflarde et rend hommage au cinéma de genre le plus radical

Albert (Axel Granberger) et Solange (Alyzée Costes): un couple de tueurs qui sème la terreur dans les années 70.

30 septembre 2022 à 18:03

Série » Malgré l’humidité qui les ronge, les murs de la bâtisse tiennent encore debout, mais ça n’est qu’une question de temps avant que tout ne s’effondre dans un nuage de plâtre. Personne ne songera à s’en plaindre: cette maison posée au fond d’un parc en friche, dans la campagne des Hauts-de-France, sent la mort. Aucun esprit sain n’aurait envie d’y entrer. C’est pourtant là qu’Adrien Winckler (Nicolas Duvauchelle) a rendez-vous avec un certain Albert Desiderio (Niels Arestrup). Ce dernier vient d’apprendre qu’Adrien, auteur d’un premier roman salué par la critique, était en panne d’inspiration. Il propose donc à son visiteur de mettre en forme le récit de son existence.

Bien que mal à l’aise, le romancier enclenche son dictaphone. Après un silence pesant, Albert lâche un prénom: Solange. Selon lui, avant elle il n’y avait rien, après elle il n’y a plus rien eu. Le septuagénaire reprend son souffle puis raconte son histoire. Celle-ci semble aussi banale que triste: Albert et Solange, enfants pauvres, rudoyés par la vie, se sont connus très jeunes. Rapidement, le garçon timide s’est senti obligé de protéger la fillette farouche. Ils ne se sont plus quittés et ont ouvert vers la fin des années 60 un salon de coiffure dans une banlieue aux maisons de briques. A l’occasion de leurs premières vacances, ils se sont rendus sur une plage déserte du Midi. Là, dans un réflexe de défense, Solange (Alyzée Costes) a tué un individu qui tentait de la violer. Immédiatement, Albert (Axel Granberger) a noyé un témoin de la scène. Par amour, simplement par amour…

Ivres de sexe et de sang

A cet instant, le couple a ressenti une extrême excitation, d’ordre purement sexuel. Dès lors, chaque été, les jeunes gens se sont rendus au bord de la Méditerranée ou de l’océan pour tuer, encore et encore, ivres de sexe et de sang… Face à ces révélations, Adrien passe de l’incrédulité au dégoût, s’emporte, refuse d’en entendre davantage. Le soir, seul dans son bureau, il ne peut toutefois s’empêcher d’écrire les premières pages de cette histoire d’amour dérangée et dérangeante. Bien vite, ballotté entre fascination et répulsion, l’écrivain prend un aller simple pour l’enfer. Piloté par une force invisible, il renoue avec Albert, dont les atroces confessions vont le plonger au cœur d’un cauchemar sans fin où d’étranges papillons volent en nuées dans un ciel d’encre…
 

Une mécanique savante qui ne patine jamais en dépit des multiples tiroirs ouverts tout au long de l’intrigue


A bonne distance des séries pantouflardes, indolores et des sagas à gros budget qui réchauffent paresseusement de vieilles recettes heroic fantasy, voici Les Papillons noirs, la série phénomène de ce début d’automne. Une fleur carnivore, vénéneuse qui dynamite les codes du feuilleton télévisé avec une jubilation non feinte.

Noirceur

L’histoire terrifiante des Papillons noirs, le scénariste Bruno Merle (Felicità) et le réalisateur Olivier Abbou (Territoire, Furie, les deux saisons de Maroni) la portent en eux depuis sept ans. Ce qui explique au passage l’efficacité d’une mécanique savante qui ne patine jamais en dépit des multiples tiroirs ouverts tout au long de l’intrigue, laquelle court sur six épisodes d’une durée moyenne de 50 minutes. D’une sensualité, d’une violence et d’une noirceur auxquelles les productions françaises ne nous ont guère habitués, la série, réservée cela va sans dire à un public averti et fortement déconseillée aux âmes sensibles, a déjà été vue près de trois millions de fois depuis sa mise en ligne sur la plateforme Arte TV, il y a trois semaines. Un triomphe aussi réjouissant qu’imprévisible pour la chaîne franco-allemande bien consciente qu’elle ne disposait pas là d’un spectacle susceptible de rassembler le public familial devant les téléviseurs.

Si la série passionne autant de monde, c’est bien entendu parce que les amateurs de sensations fortes apprécient toujours autant les récits ayant pour protagonistes les serial killers. On l’a dit, la réussite des Papillons noirs repose en partie sur son intrigue à rebondissements qui soumet constamment les nerfs du spectateur à rude épreuve. Mais ça n’est pas tout: l’ouvrage confectionné par Olivier est également un bel objet pop nourri aux influences du meilleur cinéma de genre.

Ainsi les multiples flash-back mettant en scène l’odyssée infernale des jeunes amants évoquent sans détour l’atmosphère fiévreuse et sophistiquée du Gialo, genre transalpin mêlant horreur, érotisme et thriller rendu immortel grâce aux exploits de maître tels que Mario Bava (Six femmes pour l’assassin) et surtout Dario Argento (L’Oiseau au plumage de cristal, Le Chat à neuf queues, Quatre mouches de velours gris).

Casting magistral

Tout cela ne serait cependant qu’un généreux catalogue d’intentions sans l’implication d’un casting magistral réuni pour l’occasion. Le face-à-face entre Nicolas Duvauchelle, jeune fauve intense devenu adepte du choc frontal grâce à la boxe, et Niels Arestrup, vieux lion capable de guetter sa proie sans frémir durant des heures, est jubilatoire, d’une intensité à couper le souffle. Une performance face à laquelle Alyzée Costes et Axel Granberger ne sont pas en reste. Les jeunes comédiens charismatiques interprètent Solange et Albert dans les années septante avec une décontraction sulfureuse qui a pour effet de rendre leurs personnages un peu plus complexes encore.

Derrière ce quatuor vedette magnétique, on relèvera aussi les prestations haut de gamme de comédiennes et comédiens expérimentés comme Alice Belaïdi, Brigitte Catillon et Sami Bouajila qui achèvent de faire de ce véritable ovni télévisuel un drame monumental. Un drame aux allures de ballet de mort tout au long duquel les émotions contradictoires se télescopent sans intention aucune de nous laisser sortir de là indemne.

Les Papillons noirs, six épisodes disponibles sur Arte TV jusqu’au 11 octobre.

Un blanc-bec dans les griffes des yakusas

La série Tokyo Vice marque le grand retour aux affaires de Michael Mann, réalisateur prodige porté disparu depuis sept ans.

Au moment même où le XXe siècle touche à sa fin, Jake Adelstein (Ansel Elgort), un journaliste américain formé dans le Missouri, décide de partir pour le Japon, pays qui le fascine depuis toujours. A Tokyo, Jake ne se contente pas de faire du tourisme. Grâce à une maîtrise peu commune de la langue nationale, il passe un concours lui permettant d’intégrer la rubrique judiciaire du plus prestigieux quotidien local.

Las, une fois installé devant un ordinateur, le jeune homme déchante: tous ses articles sont refusés par un rédacteur en chef qui lui ordonne de n’écrire que ce qu’on lui dit et non pas ce qu’il voit ou ressent. Frondeur, Adelstein ne renonce pas et avec la complicité d’un inspecteur de police roublard, il réussit à s’approcher au plus près d’un jeune yakusa ambitieux appelé à devenir rapidement l’une des figures les plus redoutées du crime organisé japonais…

Basé sur l’autobiographie du journaliste Jake Adelstein, Tokyo Vice marque le grand retour de Michael Mann, réalisateur de merveilles comme Heat ou Collatéral dont on était sans nouvelles depuis l’échec de Hacker en 2017. Producteur délégué, Mann n’a réalisé que le premier épisode d’une série qui en compte huit, mais ses collaborateurs respectent scrupuleusement ses choix esthétiques du début à la fin. Sans révolutionner le genre, Tokyo Vice s’impose comme un spectacle de belle tenue, furieusement divertissant qui permettra de patienter jusqu’au grand retour de Mann dans les salles obscures. Un retour prévu l’an prochain avec un biopic consacré à Enzo Ferrari. JPB

Ce contenu provient de notre ancien site web. Il est possible que sa mise en page ne soit pas idéale. En savoir plus