Logo

Écrans

Ruben Östlund, un agent provocateur

Le cinéaste suédois Ruben Östlund fait partie du club fermé des doubles détenteurs de la Palme d’or cannoise. Son film Sans filtre sort mercredi

L’indomptable Ruben Östlund (à dr.) sur le tournage de Sans filtre avec un autre agent provocateur, le comédien Woody Harrelson .

23 septembre 2022 à 14:23

Cinéma » Il a l’œil qui frise comme un gamin qui prépare un tour pendable et la mèche de cheveux indomptable, à l’instar de son humour à rebrousse-poil. Ruben Östlund n’a même pas 50 ans et il fait déjà partie d’un des clubs de cinéma les plus fermés qui soient: celui des réalisateurs ayant remporté deux fois la Palme d’or au Festival de Cannes. Il faut donc prononcer le nom du Suédois dans le même souffle que ceux de monuments du septième art tels que le Britannique Ken Loach, le duo belge formé par les frères Jean-Pierre et Luc Dardenne, l’Autrichien Michael Haneke, le Serbe Emir Kusturica, le Danois Bille August, l’Américain Francis Ford Coppola ou le Japonais Shohei Imamura.

Primé sur la Croisette au printemps dernier, le long-métrage Sans filtre – titre français choisi pour remplacer l’original Triangle of Sadness, qui avait pourtant autrement plus de gueule – sort mercredi sur les écrans suisses (lire notre critique ci-dessous). Un film polarisant qui a séduit autant qu’il a contrarié. Une satire des riches influenceurs et de l’univers impitoyable de l’hyperluxe, emballée dans une comédie, une vraie de vraie. Une nouvelle preuve que Ruben Östlund n’a pas son pareil pour brocarder la vanité de ses contemporains.

Des pistes à Hollywood

C’est au Festival de Cannes que le monde a découvert en 2014 ce Suédois sorti de nulle part. Dans la section Un Certain Regard, son film Snow Therapy – parfois aussi intitulé Turist ou Force majeure en fonction de l’imagination des distributeurs internationaux – fait grand bruit et repart avec le Prix du jury. Auparavant, personne ou presque n’avait entendu le nom de Ruben Östlund qui a déjà pourtant trois longs-métrages à son actif ainsi que des documentaires et des films consacrés au ski.

Snow Therapy, c’est l’histoire d’un père de famille en vacances dans la station de ski des Arcs, dans les Alpes françaises et qui, lorsqu’une avalanche menace de tout emporter sur son passage, prend ses jambes à son cou plutôt que de tenter de protéger ses enfants et sa femme. Une charge cinglante et décalée sur la famille moderne et dont l’humour fait déjà mouche. L’univers de ce film ne vient pas de nulle part. En effet Ruben Östlund a travaillé dans sa jeunesse comme saisonnier dans des stations alpines. Un moyen pour lui de réaliser des films consacrés à la pratique extrême du ski freeride (Addicted, en 1993, Free Radicals et Free Radicals 2, en 1997 et 1998).

Ce premier succès international ouvre au cinéaste suédois les portes des studios hollywoodiens. Et c’est en 2017 qu’il enfonce le clou avec The Square. Ce film carburant au vitriol a carrément fait crier de joie le public du Palais des festivals, à Cannes, lors de l’annonce de la Palme d’or cette année-là. Pour ce long-métrage, Ruben Östlund s’est entouré d’un casting international rassemblant le Britannique Dominic West (de la série The Wire), l’Américaine Elisabeth Moss (Mad Men) et le Danois Claes Bang (vu très récemment dans The Northman). Ce dernier incarne le directeur d’un musée d’art contemporain en pleins préparatifs d’une exposition sur la tolérance mais qui bute contre ses propres limites en la matière. «Le film s’intéresse à la façon dont on considère et oppose la responsabilité individuelle et celle de la société. Il examine comment on prend soin les uns des autres», expliquait alors le cinéaste au magazine Variety.

Des claques méritées

C’est donc peu dire que le réalisateur était attendu au tournant avec son long-métrage suivant. Sans filtre confirme indéniablement son sens de l’observation féroce. Ruben Östlund ne prend donc pas de gants pour distribuer quelques claques bien senties à ses contemporains, surtout au mâle occidental étouffé dans sa propre vanité.

Comme il le racontait à Cannes ce printemps, le cinéaste a trouvé l’inspiration de sa satire sociale auprès de sa femme, photographe de mode. «Elle m’a raconté l’histoire d’un de ses amis mannequins. Il était mécanicien avant d’être repéré dans la rue. Quelques années plus tard il était l’un des mannequins hommes les mieux payés au monde grâce à sa campagne pour le parfum Calvin Klein. Mais il a commencé à devenir chauve… Son agent lui a alors conseillé de trouver une petite amie célèbre pour relancer sa carrière. Je m’en suis inspiré pour créer les personnages de Carl et Yaya dans Sans filtre

Ruben Östlund n’a pas son pareil pour brocarder la vanité de ses contemporains

Exploiter des situations cocasses, c’est le mode opératoire de Ruben Östlund que la presse suédoise surnomme «le kleptomane», puisqu’il vole des situations de sa propre vie ou de la vie de ses amis pour en tirer des fictions. De son propre aveu, le cinéaste est également un grand inconditionnel de Youtube, site de vidéos en ligne sur lequel il puise régulièrement l’inspiration pour ses personnages.

Huis clos aérien

Il ne s’en cache pas, Ruben Östlund tient en haute estime des artistes tels que le réalisateur Michael Haneke, avec lequel il partage plus qu’une double Palme, ou l’écrivain français Michel Houellebecq. De quoi augurer de bonnes choses pour l’avenir. Son prochain film s’intitulera d’ailleurs The Entertainment System is Down – que l’on peut traduire grosso modo par «le système de divertissement ne fonctionne plus» et qui ne manquera pas, le moment venu, de trouver une appellation francophone qui n’aura plus rien à voir. Ce long-métrage sera un huis clos à bord d’un avion long-courrier. L’équipage annonce une panne générale des écrans et les passagers vont devoir se débrouiller pour passer le temps durant les quinze heures de vol. Ah, et on oubliait de vous dire… L’histoire sera racontée par la fin, à savoir le crash de l’aéroplane.

Ruben Östlund ne prend donc pas de gants pour distribuer quelques claques bien senties à ses contemporains

Est-ce que ce nouveau long-métrage permettra à son auteur de décrocher une nouvelle distinction suprême sur la Croisette? Impossible à dire. Mais si tel devait être le cas pour le chouchou cannois, il deviendrait le seul et unique membre d’un nouveau club, encore plus sélect que celui auquel il appartient.


La croisière nous amuse

Ruben Östlund n’est pas du genre à retenir ses coups. Tous ceux qui ont vu son film précédent The Square se souviennent encore avec jubilation de la verve de cette satire implacable du monde de l’art contemporain. Ils seront donc en terrain connu avec cette nouvelle réalisation, Sans filtre, qui pourrait bien faire un tabac.

Ce contenu provient de notre ancien site web. Il est possible que sa mise en page ne soit pas idéale. En savoir plus