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Réalisme magique en Côte d’Ivoire

La nuit des rois, de Philippe Lacôte, nous transporte au cœur de la Maca, célèbre prison d’Abidjan

Philippe Lacôte, qui a dû rester à Abidjan, signe un film envoûtant.

20 juillet 2021 à 04:01

Interview » La Maca est une célèbre prison d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, dirigée par un vieux détenu malade surnommé «Barbe Noire». Pour consolider son pouvoir vacillant, le caïd choisit un jeune pickpocket et le nomme «Roman». Ce rituel du «Roman», vieille tradition carcérale, oblige le jeune homme à raconter une histoire durant toute une nuit de lune rouge, sans quoi il sera mis à mort. «Roman» se lance alors corps et âme dans le récit quasi mythologique de la vie de Zama King, un bandit légendaire.

Ce n’est pas un hasard si La nuit des rois partage son titre avec une œuvre de William Shakespeare. Dans ce film, la prison devient le théâtre d’une tragédie à la forte charge symbolique. Interview à distance de son réalisateur Philippe Lacôte, qui a dû rester à Abidjan pour des raisons sanitaires.

Comment est venue l’envie de parler de cette prison, la Maca?

Philippe Lacôte: Ce lieu résonne avec mon histoire familiale. Quand j’étais enfant, ma mère était à la Maca pour des raisons politiques. J’allais la voir une fois par semaine. C’est une prison assez ouverte pour les visiteurs, les parloirs sont collectifs. Il y a des interactions particulières qui frappent l’esprit d’un enfant. Je voyais la Maca comme un royaume, avec ses rois, ses valets.

Comme si la prison était une société parallèle?

C’est ce que je voulais faire passer. C’est un endroit avec ses codes, ses lois, mais aussi ses croyances. Je voulais montrer son fonctionnement. Et surtout comment la prison est productrice de récit. La poésie, l’imaginaire, ne viennent pas seulement de lieux dits «nobles».

«Un quart des figurants ont connu la Maca.»
Philippe Lacôte

Le rituel du «Roman» est-il réel?

Tout à fait. Les prisonniers choisissent un autre détenu et on l’appelle «Roman». Il doit raconter des histoires toute la nuit. J’ai juste dramatisé cela en rajoutant une sentence de mort.

Ce bandit presque mythologique, Zama King, existe-t-il?

Nous sommes dans un univers urbain et les jeunes qui y vivent le font à travers le mythe de Zama King, un personnage qui a existé mais qui s’invente au quotidien. C’est un jeune bandit à la tête d’un gang appelé les Microbes, composé d’enfants de 8 à 18 ans. Ce nom vient de La cité de Dieu, un film brésilien. Les jeunes Ivoiriens ont vu ce film-là, qui parle des gangs des favelas, mais ils l’ont pris sans distance. Ils ont voulu appliquer la violence du film. Zama King a commis beaucoup de crimes et finalement, il a été lynché par la population. Des images ont été filmées et mises sur Youtube… Son corps a quasiment disparu: il a été découpé, brûlé. Lorsque j’ai vu ces images, je me suis demandé comment la violence circule dans la société.

Le film a-t-il été tourné directement dans la prison?

Les extérieurs ont bien été tournés à la Maca mais les cellules ont été reconstruites dans un entrepôt. Toutes les inscriptions que l’on voit sur les murs viennent de vraies prisons, les dessins aussi. Je ne voulais pas faire de la décoration. En prison, tout a un sens. De plus, un quart des figurants ont connu la Maca. Ils ont été comme des consultants sur le film et m’ont beaucoup aidé à capter les gestes authentiques, ceux que l’on ne peut pas inventer.

Votre film mélange un réalisme documentaire et le rêve…

Je viens de la fiction mais je suis aussi passé par le documentaire. Je ne voulais pas poser un regard voyeuriste sur la prison. C’est important de faire des films ici, en Côte d’Ivoire, parce qu’on est peu représenté dans le cinéma international. Il faut faire ces films avec notre culture. Et chez nous, la frontière entre réalisme et magie est mince. Les mondes invisibles sont présents au quotidien.

Les séquences où «Roman» conte l’histoire de Zama King ressemblent aux rondes des danseurs hip-hop. Est-ce voulu?

Ça vient de la battle en effet. L’inspiration m’est venue de l’opéra Les Indes galantes de Clément Cogitore construit autour d’une ronde de danseurs de krump. C’est une danse qui est apparue à Los Angeles après les émeutes de 1992. Les jeunes Noirs ne pouvaient pas exprimer leur colère alors ils la mimaient avec des gestes très forts. L’idée était de faire une arène mais qui symbolise aussi le cercle du conte africain.

L’Afrique semble prendre son envol cinématographique…

Il y a plusieurs types de cinémas sur le continent. Il y a Nollywood, au Nigeria. C’est la première représentation de masse des Africains par eux-mêmes. Il y a des productions locales, des séries qui se mettent en place. Nous avons aujourd’hui des gens qui s’exportent comme la réalisatrice Mati Diop ou le cinéaste du Lesotho Jeremiah Mosese, au festival de Sundance. Il y a de nouvelles voix. Mais ces gens, y compris moi, sont encore trop connectés avec l’Europe. Le prochain challenge est que des réalisateurs qui vivent et travaillent en Afrique puissent avoir une visibilité internationale.


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