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Jean-Louis Trintignant, une légende timide s'en est allée

L’acteur Jean-Louis Trintignant est décédé ce vendredi à l’âge de 91 ans. Il laisse un héritage de 130 films et restera le visage du cinéma d’auteur

L’acteur Jean-Louis Trintignant jouait La Valse des adieux de Louis Aragon à l’Espace Moncor, à Villars-sur-Glâne, en 1999.

18 juin 2022 à 02:20

Carnet noir » C’est une véritable légende du cinéma français qui s’est éteinte. Jean-Louis Trintignant est décédé ce vendredi 17 juin à l’âge de 91 ans. En 2018, l’acteur et réalisateur français avait annoncé être atteint d’un cancer de la prostate, mettant ainsi un terme à sa carrière cinématographique. Ce qui ne l’avait toutefois pas empêché d’apparaître dans une courte séquence vidéo lors de la cérémonie des César 2021.

Dans une interview accordée au quotidien Nice Matin en 2020, Jean-Louis Trintignant se montrait philosophe face à la maladie: «Vous savez, pour 60% d’entre nous, on a tous un cancer. Mais quand on est vieux, ce n’est pas la maladie la plus grave.» Jean-Louis Trintignant est «mort paisiblement, de vieillesse, chez lui, dans le Gard, entouré de ses proches», a précisé ce vendredi son épouse Marianne Hoepfner Trintignant dans un communiqué.

Comédien depuis les années 1950, il a tourné avec quelques-uns des plus grands réalisateurs et son nom était quasiment devenu synonyme de cinéma d’auteur. Le public a pu apprécier son jeu devant la caméra de cinéastes internationaux mythiques tels que Claude Lelouch, Eric Rohmer, François Truffaut, Ettore Scola, Bernardo Bertolucci, Krzysztof Kieslowski ou encore Sergio Corbucci. L’acteur d’Et Dieu… créa la femme et Amour laisse un héritage de plus de 130 films hantés par une présence timide, lui qui était toujours humble par rapport à son travail tout en retenue et sans esbroufe.

Thérapie par le théâtre

Jean-Louis Trintignant est né le 11 décembre 1930 à Piolenc (Vaucluse), près de la petite ville d’Uzès (Gard) dans laquelle il s’était retiré pour finir sa vie. Un retour aux sources où le comédien a pu s’occuper de ses vergers et de ses vignes. Il était le fils d’un industriel engagé en politique (maire socialiste de Pont-Saint-Esprit) et d’une mère bourgeoise qui se rêvait comédienne. Sans doute le point de départ d’une carrière qui débute tôt, à l’âge de 20 ans. Après avoir commencé des études de droit, Jean-Louis Trintignant monte à Paris et s’inscrit à l’Institut des hautes études cinématographiques avec l’envie d’être metteur en scène. En parallèle, il suit des cours d’art dramatique. D’une timidité presque maladive, le jeune homme se soigne par le théâtre. Les débuts sont difficiles et le jeune acteur est connu pour réciter ses textes la tête baissée, sans parvenir à extérioriser ses sentiments.

Derrière la caméra, Trintignant signera deux films seulement: Une Journée bien remplie (1973) et Le Maître-nageur (1979). Deux œuvres cultivant une certaine étrangeté mâtinée d’humour noir qui désarçonneront le public et qui seront sanctionnées par deux échecs commerciaux. Mais c’est bien devant la caméra que Jean-Louis Trintignant bâtira sa légende. En 1956, il accepte un rôle de jeune premier dans un film qui fera scandale, Et Dieu… créa la femme, de Roger Vadim. Il a pour partenaire une certaine Brigitte Bardot, dont il deviendra l’amant. Sa notoriété naissante est interrompue par son service militaire effectué en pleine guerre d’Algérie. Politisé, le comédien révolté défend le FLN. Son retour aux affaires est difficile: il joue au théâtre dans Hamlet, mis en scène par Maurice Jacquemont, qui est descendu par la critique. C’est donc au cinéma qu’il se relancera, en 1960, avec les Liaisons dangereuses, à nouveau sous la direction de Vadim, puis avec le Combat dans l’île d’Alain Cavalier.

La consécration

Pour autant le public n’adopte pas d’emblée ce jeune homme fragile à la voix si triste. Mais en prenant de l’âge, Jean-Louis Trintignant gagnera en présence. Le comédien va multiplier les projets, dans des genres différents, d’Un homme et une femme de Claude Lelouch aux films d’Alain Robbe-Grillet (Trans-Europ-Express) ou ceux de sa femme Nadine Trintignant (Le Voleur de crimes). Jean-Louis Trintignant est quasiment partout, même là où on ne l’attend pas comme dans Le Grand silence, western de Sergio Corbucci, ou dans Z de Costa-Gavras, qui lui vaudra un Prix d’interprétation au Festival de Cannes en 1969. Sans oublier Ma Nuit chez Maud, d’Eric Rohmer et Conformiste de Bertolucci.

Touché par les tragédies familiales, il ne se remettra jamais vraiment de la mort brutale de sa fille Marie, en 2003

Même s’il se retirera progressivement du septième art à partir des années 1980, le comédien restera un visage incontournable du cinéma d’auteur. Il sera notamment terrifiant dans Le Bon plaisir de Francis Girod, en 1984. Blessé dans sa chair et se déplaçant avec une canne, Trintignant sublimera sa condition dans Regarde les hommes tomber de Jacques Audiard (1994). Touché par les tragédies familiales, il ne se remettra jamais vraiment de la mort brutale de sa fille Marie, en 2003.

Privilégiant le théâtre, Jean-Louis Trintignant s’attaque à Apollinaire, Boris Vian ou Prévert. Il reviendra au cinéma dans les années 2010, notamment chez l’Autrichien Michael Haneke avec Amour, un huis-clos terrible dans lequel il aborde le sujet de la fin de vie chez les seniors atteints d’Alzheimer, qui a fait l’unanimité à Cannes où il remporte la Palme d’or en 2012. Film qui remportera en outre cinq César. Il retrouvera encore Haneke en 2017 pour Happy End et son tout dernier long-métrage, Les Plus belles années d’une vie de Claude Lelouch, sortira en 2019.
 

«Je suis fatigué par tout ce cirque mais vous êtes gentil!»

Souvenir d’une rencontre cannoise avec un acteur intègre, charismatique mais surtout désespéré.

La scène se déroule lors du Festival de Cannes 2012. La veille, le public de la Croisette a applaudi les performances de Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva dans Amour, chronique d’une fin de vie signée Michael Haneke. Nous voilà donc sur le point d’interviewer Trintignant, icône en bout de course d’un cinéma perdu, dans une suite du Majestic. Interviewer est d’ailleurs un bien grand mot. A Cannes, il s’agit uniquement de participer à des tables rondes en compagnie d’une dizaine d’autres personnes. Cet après-midi-là, l’attachée de presse explique que, par courtoisie envers celles et ceux de l’assemblée qui ne parlent pas français, seul l’anglais sera toléré. En découvrant le protocole, l’acteur gémit.

Histoire de mettre un peu d’imprévu dans cet embarrassant cérémonial, on s’approche de lui pour lui glisser en français. «Merci d’avoir fait Une Journée bien remplie et Le Maître-nageur!» En découvrant que l’on connaît les deux films qu’il a signés en tant que réalisateur, il lève les yeux vers nous: «Je suis fatigué par tout ce cirque mais vous êtes gentil.» On pense en rester là mais il nous prend la main: «Vous êtes gentil mais bien trop indulgent. J’ai arrêté de réaliser des films parce que je n’étais pas doué pour ça. Même chose pour la course automobile. A une époque de ma vie, je pensais que j’étais un bon pilote parce que je roulais en voiture de sport. J’ai participé à quelques épreuves mais la réalité c’est que j’étais nul.» Furibonde, l’attachée de presse s’interpose («En plus vous faites ça en français!») et dit qu’elle aimerait bien pouvoir commencer l’interview.

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