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Culture

Lausanne. Babi Badalov a créé une œuvre immense qui se déploie au Musée cantonal des beaux-arts

Né en Azerbaïdjan, Babi Badalov a connu l’URSS et l’exil. Anarchiste, punk et homosexuel, comme il se définit lui-même, celui qui est désormais Français crée un œuvre unique, mêlant poésie et dessin, différentes langues, messages politiques et références artistiques.

Babi Badalov devant un détail de l’immense œuvre qu’il a créée ces deux dernières semaines au MCBA. © MCBA/Jonas Hänggi

3 février 2024 à 02:00

«Ce n’est jamais terminé», entame Babakhan Badalov, dit Babi Badalov. Face à lui, une œuvre immense, la sienne, qu’il crée depuis 15 jours, sur un mur de l’Espace Projet du Musée cantonal des beaux-arts (MCBA) de Lausanne, dans le cadre de la rétrospective que lui consacre l’institution, intitulée Xenopoetri.

Cette pièce fabriquée in situ, il l’a commencée par la gauche, sans ébauche préparatoire. Il a d’abord fixé en différents endroits de la longue paroi des tissus préalablement rehaussés de ses dessins uniques, mêlant mots et ornements et mariant différentes langues dans un globish savoureux. Puis il s’est mis à relier ces îlots de tissu, essentiels dans son travail, «un matériau du quotidien, explique-t-il, que nous portons tous et que nous pouvons toucher».

Plasticien et poète

Entre les t-shirts, draps, pantalons et autres chutes de seconde main, s’épanouissent en réseaux des déclinaisons de sons devenant des mots, des mots en miroir formant des entrelacs, des mots déformés se muant en jeux, des références dévoilant des inclinations et des messages disant l’exil, la solitude et l’âpreté de la politique quand elle s’applique implacablement à la destinée d’un homme. Sur cette œuvre qui prend l’allure d’une carte de géographie, mystérieuse et limpide à la fois, on devine l’Occident et l’Orient, mais aussi les chocs de civilisations qui ne s’embarrassent jamais des particularités, aussi essentielles soient-elles.

La vie de Babi Badalov est un roman qu’il a choisi de dessiner plutôt que d’écrire

La vie de Babi Badalov est un roman qu’il a choisi de dessiner plutôt que d’écrire. Encore que. Tantôt plasticien, tantôt poète, le sexagénaire – il est né en 1959 en Azerbaïdjan – dompte les lignes en mots et en profils pour raconter une existence qui impose le silence aux Européens de l’Ouest, forcés de déplacer un curseur sur une ligne qui leur échappe très vite. «Ma langue maternelle est le talyche, issue du perse. Mon père parlait l’azéri, très proche du turc. Le russe n’est venu que plus tard quand je suis allé aux Beaux-Arts à Bakou. Les 32 premières années de ma vie, je les ai vécues sous le sceau de l’Union soviétique.»

Dalida et Derrida

Tasse de thé en main, Babi Badalov raconte l’histoire de son pays «à l’ethnicité pas claire», secoué donc par les assauts perses, turcs et soviétiques. Dans un français aux sonorités étranges, il s’exprime porté par une urgence impérieuse de communiquer, d’être compris tout autant que de comprendre. «Le français, avec toutes ces lettres qui ne se prononcent pas…» enrage-t-il. On est sur le point de s’excuser pour l’orthographe, la concordance des temps, les verbes irréguliers, mais Babi Badalov se révèle bien plus solide que le corset de l’Académie française.

De Bakou, puis de Saint-Pétersbourg où il fut un acteur de la scène underground opposée au régime soviétique, l’artiste homosexuel a connu les errances de l’exil et de la clandestinité. A Cardiff, aux Etats-Unis puis en France où il obtient l’asile politique en 2011 et la nationalité française en 2018. Nouvelles langues, nouvelles coutumes, nouveaux efforts pour tendre vers une universalité susceptible de toucher qui que ce soit, où que ce soit. «Je me suis beaucoup interrogé sur ce que je devais faire. Et je me suis dit que je devais raconter ma vie. Les mots que je trace, ce sont des remarques, des questions que j’adresse à l’autre.»

«Le poétique de l’étranger, de l’autre, ce xenopoetri, c’est une expression dont je suis très fier», avoue-t-il. Derrière lui, un vaste tissage se déploie du plafond. De la lettre B au mot Borders (frontières), un triangle se forme au fur et à mesure qu’il rajoute, à chaque ligne, une lettre au mot. Puis en déclinant, le mot se transforme en Orders (ordres) pour s’achever en simple R.

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